Page:Frédéric II de Prusse - Correspondance avec Voltaire, tome 2.djvu/5

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ſont aſſez fortes pour me faire ſupporter des douleurs encore plus grandes. Je ſouffre très-patiemment ; & quoique les douleurs ſoient quelquefois longues & aiguës, je ſuis très-éloigné de me croire malheureux. Ce n’eſt pas que je ſois ſtoïcien, au contraire, c’eſt parce que je ſuis très-épicurien, parce que je crois la douleur un mal & le plaiſir un bien ; & que, tout bien compté & bien peſé, je trouve infiniment plus de douceurs que d’amertumes dans cette vie.

De ce petit chapitre de morale je volerai ſur vos pas, ſi V A.R. le permet, dans l’abyme de la métaphyſique. Un eſprit auſſi juſte que le vôtre ne pouvait aſſurément regarder la queſtion de la liberté comme une choſe démontrée. Ce goût que vous avez pour l’ordre & l’enchaînement des idées, vous a repréſenté fortement Dieu comme maître unique & infini de tout ; & cette idée, quand elle eſt regardée ſeule, ſans aucun retour ſur nous-mêmes, ſemble être un principe fondamental d’où découle un fatalité inévitable dans toutes les opérations de la nature. Mais auſſi une autre manière de raiſonner ſemble encore donner à Dieu plus de puiſſance, & en faire un être, ſi j’oſe le dire, plus digne de nos adorations ; c’eſt de lui attribuer le pouvoir de faire des êtres libres. La première méthode ſemble en faire le Dieu des machines, & la ſeconde le Dieu des êtres penſans. Or ces