Page:Frémine - Statue de Napoléon Ier à Cherbourg, 1859.djvu/3

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Ses soldats couvrent-ils le Nord et le Midi ?
L’Empereur rêve-t-il à des guerres prochaines ?
Veut-il forger des lois, veut-il briser des chaînes ?
Est-ce son regard d’or du matin d’Austerlitz,
Quand sa voix des drapeaux faisait flotter les plis,
Couvrait de feux croisés la montagne et la plaine ?
Est-ce son long regard de l’île Sainte-Hélène ?

On le demande en vain : l’artiste est inspiré,
Il mêle dans son œuvre avenir et passé.
Sur cette tête où brille un éclair de puissance
Il fait lire au passant le deuil et la souffrance.
Tu vois Napoléon ; il suffit.

Mais, pourtant,
Si votre esprit songeur veut aller plus avant,
Savoir quelle est l’idée et la mère-pensée
Qui tendent cette main vers l’avenir dressée
Et de leurs rayons purs illuminent ce front
Tout à l’heure courbé comme sous un affront ;
Demandez au vieillard ce qu’était cette plage
Quand, laissant respirer l’Europe en vasselage,
L’Empereur vint un jour[1], invaincu, calme et fort,
S’admirer dans son œuvre et consacrer ce port.

Alors il était grand ; il ne se doutait guère
Que, quelques ans plus tard, foudroyé par la guerre,
Il resterait debout sur ses trônes perdus,
Qu’il s’en irait captif, que ces bras éperdus
Demanderaient ce fils qui lui venait de naître ;
Que ce fils loin de lui mourrait sans le connaître ;
Qu’il serait prisonnier sous la garde des mers ;
Que, foulant à ses pieds, gloire, malheur, revers,
Un comte Autrichien occuperait sa couche !

Oh ! son cœur eût souri ; certes, on eût vu sa bouche,
À ce mot d’avenir sur le présent jeté,
Se plisser sous le doute et l’incrédulité !

  1. 1811.