Page:Frémine - Statue de Napoléon Ier à Cherbourg, 1859.djvu/4

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Pourtant sur ses traits bruns couraient de vastes rides ;
Il contemplait la mer avec des yeux avides ;
Il était sombre et haut quand son bras s’étendit.
Que regardait-il donc ? et le vieillard vous dit :

— Autour de lui, bruyant, heureux, un peuple immense
Par mille cris d’amour saluait sa présence.
Ces quais n’étaient pas là pour arrêter les flots ;
L’océan écumait contre un long banc d’îlots
Où des forts commencés, blanchissante ceinture.
Pour un port à créer, en domptant la nature,
Promettaient cette digue où s’endors tout regard ;
En rade, deux vaisseaux, débris de Trafalgar,[1]
Déployant leurs couleurs dans le combat noircies,
Se couronnaient des feux des triples batteries ;
Et les forts, répondaient : tout était poudre et nuit ;
Au ciel, des goëlands, effrayés par le bruit,
S’envolaient vers la Hague aux lointaines falaises ;
Puis, au large, veillaient les croissières anglaises.
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....................
Oh ! silence, poëte, arrête ; car, ici,
Le gouffre est à tes pieds et te jette un défi.
Puisqu’Anglais et Français aujourd’hui sont des frères,
Ne va pas rallumer des torches funéraires ;
Laisse les ans passer et tes aïeux dormir.
Accepte tant d’oubli sans crier, sans gémir,
Tâche de faire croire à ta muse ingénue
Que l’éclair à nos yeux ne fendra plus la nue ;
Que vaincus et vainqueurs du jour de Waterloo
Jamais sur un champ clos ne verront leur drapeau !

Il est vrai que les ans effacent bien des choses !
Pour les voix du passé nos oreilles sont closes ;
La mer après l’orage est si douce au nocher !
Oh ! depuis bien des jours est éteint le bûcher
Où, lys d’autel cueilli par une main profane,

  1. Le Courageux et le Polonais. Tous les détails de cette scène sont historiques.