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Chapitre I


Les missionnaires — Le premier colon, Claude-Nicolas Mouard, un Bourguignon — Deux Lorrains, anciens brasseurs — Le « Colonel » Gay — Le « Docteur » Pillard — Quinze Français au Manitoba en 1870 — Encore des Alsaciens-Lorrains… et des chefs cuisiniers.


Les missionnaires

En 1845, il y avait plus de vingt-cinq ans déjà que Mgr Norbert Provencher, aidé de quelques prêtres québécois, s’efforçait d’évangéliser les Métis et les Indiens du Nord-Ouest. Le travail était lent et pénible, par suite de faibles ressources en ouvriers apostoliques et de calamités successives : sécheresse, inondations, sauterelles, etc. Mais l’anxiété de l’évêque de Saint-Boniface prit fin lorsque les Oblats de Marie-Immaculée, ordre de missionnaires fondé à Aix-en-Provence par l’abbé Eugène de Mazenod, futur évêque de Marseille, acceptèrent de venir lui prêter main-forte. Ils n’étaient que depuis quatre ans au Canada quand leur supérieur répondit à l’appel du vicaire apostolique de la Rivière-Rouge. Des Français allaient de nouveau sillonner les plaines et les cours d’eau, comme à l’époque lointaine des découvreurs.

Une dizaine d’années auparavant, le même esprit d’évangélisation avait déjà procuré aux « pays d’en haut » son premier immigrant de France. Mgr Provencher, de passage à Paris en 1836, y rencontra Pierre-Louis Morin d’Équilly, jeune homme distingué, originaire de Nonancourt (Eure). Après avoir passé par l’École des Arts et Métiers d’Angers, il désirait plutôt se livrer à l’œuvre des missions. L’évêque lui demanda de venir l’aider. Il comptait utiliser ses services comme instituteur, catéchiste et ouvrier d’art pour sa cathédrale. Le voyageur atteignit Saint-Boniface par la voie de la Baie d’Hudson, après avoir échappé miraculeusement au naufrage. Mais, complètement désemparé dans cette région trop primitive, il se dirigea bientôt vers le Bas-Canada, où ses talents trouvèrent plus aisément à s’exercer. À Saint-Boniface, Pierre-Louis Morin a laissé le souvenir d’un chanteur à la voix extraordinairement puissante. On avait coutume de dire qu’il cassait les vitres quand il voulait se forcer un peu en entonnant le Kyrie. Fort heureusement, les « vitres » de la cathédrale, alors en… peau de bison, étaient presque incassables.


Le premier colon, Claude-Nicolas Mouard, un Bourguignon

Après l’arrivée des Oblats, il s’écoula une dizaine d’années avant l’apparition de vrais colons. Chose assez naturelle, les premiers vinrent par le canal de l’Église.

En 1854, trois Frères des Écoles Chrétiennes — trois Français — arrivaient à Saint-Boniface pour enseigner les garçons. Ils furent très appréciés. Malheureusement le supérieur, trop vieux pour s’adapter à une situation nouvelle, se découragea devant de minces difficultés et demanda leur rappel. L’un d’eux avait déjà adopté pour toujours le pays et les gens, qui lui plaisaient. C’était Claude-Nicolas Mouard né à Nuits-Saint-Georges (Côte d’Or) en 1821. On connaît peu de chose sur sa famille, si ce n’est qu’elle comptait dans la parenté Mgr Symphorien Mouard, de Sombernon (Côte d’Or), capucin et premier évêque de Lahore (Pakistan), décédé en 1890.

Sorti de sa communauté, l’ex-frère enseignant s’installa sur une terre à Saint-Vital, à l’endroit où s’élèvent aujourd’hui les hôpitaux municipaux « King George » et « King Edward », de Winnipeg. Le 17 février 1863, il épousait Geneviève Racette, fille d’Augustin Racette, descendant de l’un des plus anciens trappeurs du Nord-Ouest. Mouard avait 42 ans et sa femme en avait 27. Ce mariage l’intégrait solidement au groupe métis au milieu duquel il vivait et qui formait alors la majorité de la population à la Rivière-Rouge. Les quatre enfants Mouard eurent pour parrains des personnages demeurés historiques, entre autres, Ambroise-Didyme Lépine, futur adjudant général du gouvernement Riel en 1869-70, dont la condamnation à mort fut commuée en deux ans de prison, et son frère, Maxime Lépine, autre lieutenant de Riel lors du soulèvement de la Saskatchewan. Inutile de dire que Mouard fut corps et âme avec les Métis dans leurs revendications et que son âge l’empêcha seul de prendre les armes avec eux. Il passa du reste souvent pour l’un des leurs.

Le rôle qu’il joua lors de l’élection partielle du 13 octobre 1873, dans le comté de Provencher, montre bien l’estime et la confiance dont il jouissait dans ce milieu. Un témoin oculaire français, Henri de Lamothe, a laissé un récit circonstancié de l’affaire. Aucun autre candidat ne s’étant présenté contre le chef métis, l’« officier rapporteur » proclama Riel « élu par acclamation » ; mais on avait donné un coup de pouce à l’aiguille de l’horloge et les opposants arrivèrent trop tard… Cet « officier rapporteur », ou président du bureau électoral, que Lamothe désigne comme « un franc Bourguignon transplanté depuis une dizaine d’années en ces lointains parages », n’était autre que