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De Wauchope en Indochine et au Maroc

La petite colonie française de High-View fut une autre victime de la première Grande Guerre. Mais pour une jeune Bretonne qui participa à ses débuts, ce coin de la Saskatchewan marqua la première étape d’une curieuse série d’aventures. Eugénie Cousin, dont les parents avaient suivi l’abbé Gaire à Wauchope, était, nous l’avons dit, au service des Nové-Josserand. Juste avant le départ des Français de la région, en 1914, elle épousa Paul Guiguet, également de Wauchope. Lorsqu’arriva la nouvelle de son mari blessé sur le front, elle traversa la mer pour le rejoindre. À Lyon, elle fut accueillie par ses anciens maîtres et demeura chez eux. La blessure de Guiguet n’était pas grave, mais entraîna cependant sa mise à la réforme. On l’envoya comme fonctionnaire en Indochine, où sa femme l’accompagna. En quelques années, ils amassèrent une petite fortune dans les plantations. Puis, Paul Guiguet fut emporté par les fièvres, laissant une veuve avec quatre enfants. Un autre deuil cruel vint les frapper. La fille ainée. après avoir décroché un diplôme en pharmacie, était devenue par mariage Mme Bossé ; mais au début des soulèvements dans la colonie, son époux fut assassiné par un Annamite à quelques pas de leur maison.

Cependant, Mme Guiguet, de tempérament trop actif pour demeurer inoccupée, était entrée dans l’administration indochinoise. En 1939, elle fut détachée à l’Exposition de San-Francisco, où sa fille la suivit. Toutes deux vinrent ensuite, avec une émotion que l’on devine, visiter leur famille de la Saskatchewan. La bataille faisant rage en Europe, elles décidèrent de se fixer à Montréal. Mme Bossé y obtint un emploi à la maison de produits pharmaceutiques Desbergers-Bismol. À la fin de la guerre, la mère et la fille rentrèrent en France. Toute la famille est maintenant de nouveau réunie à Casablanca. L’un des fils est médecin, un autre aviateur, le troisième employé d’administration à Air-France. Quant à Mme Bossé, elle est propriétaire d’une pharmacie.

Lorsque la petite Eugénie Cousin quittait Ploudaniel, en Bretagne, avec sa famille, au début du siècle, qui aurait pu soupçonner que ce lointain voyage au Canada serait le point de départ d’une existence aventureuse qui l’entraînerait, de la prairie du Grand Ouest, en Indochine, en Californie et au Maroc ?…


Le fondateur de « High-View » a repris l’exercice de la médecine à Montréal

Depuis 1922, le Dr Nové-Josserand a vécu à Montréal avec sa femme et ses enfants, mais ces derniers sont maintenant établis en France. Il est revenu à la profession médicale, n’ayant pas hésité à passer, à cinquante ans, les examens requis pour exercer dans la province. Comme médecin-chef de l’hôpital français Jeanne d’Arc, il a accompli une œuvre à laquelle tut le monde se plaît à rendre hommage. Médecin attitré du Consulat de France, il se dévoue sans compter au service de ses compatriotes.

Ce praticien octogénaire est d’une vivacité d’esprit et d’un enthousiasme que lui envient bien des confrères beaucoup plus jeunes. Tout à l’heure, il éprouvait quelque hésitation à évoquer les souvenirs de son passé dans l’Ouest ; mais à peine avait-il commencé qu’il y mettait une chaleur émouvante. Il est allé chercher des albums photographiques et s’est mis à les feuilleter devant moi avec un plaisir qu’il ne cherche pas à dissimuler. Les scènes racontant l’histoire illustrée de High-River alternent avec les images de la guerre, et l’on ne songe pas à s’en étonner, puisque les acteurs sont les mêmes. Ce voisinage laisse le sentiment très net que leurs travaux agricoles dans l’Ouest et ceux de la lutte pour la patrie en danger se sont déroulés sur le même plan d’un même devoir patriotique,

« Franchement, me confie l’ancien rancher de Forest-Hill, les plus belles années de ma vie sont celles que j’ai passées là-bas de 1907 à 1914… » Et l’on sent qu’il dit vrai.

L’expérience de High-River démontre que, convenablement encadrés et discrètement surveillés, la plupart des fils de famille venus de France eussent pu devenir d’excellents colons. Si la guerre mit fin à la carrière d’un grand nombre, c’est que leur patrie n’eut pas de plus vaillants soldats.


Forget, Souris-Valley, Radville, Weyburn

Au sud-ouest de Dumas, Forget est un centre d’où les Missionnaires de la Salette rayonnent vers plusieurs points environnants. Les Sœurs enseignantes de Notre-Dame-de-la-Croix de Murinais (Grenoble) y ont leur maison provinciale pour le Canada. Quelques colons français sont venus s’y établir de bonne heure.

Aux alentours de 1910, le plus riche agriculteur de la Saskatchewan, au témoignage du Dr A. Doiron, de Vonda, était Édouard Guillemin, de Forget. Venu d’Ambacourt (Vosges) en 1892 avec peu de ressources, vingt ans après il cultivait 6,880 acres. Son fils, Camille, est mort en 1955, à 81 ans, laissant trois fils également cultivateurs.

Un autre Français de Forget, Jean Haran, originaire du Béarn, servit ses concitoyens comme maire et commissaire d’école. S’étant lancé dans l’assurance, il obtint un tel succès que la Sovereign Life en fit son surintendant général à Winnipeg, puis à Montréal, où il mourut.

À l’ouest de Forget, dans la région Weyburn, Radville, Souris-Valley, on trouve encore des Français. Les frères Alphonse, Louis et Eugène Vérat, de la Haute-Loire, vinrent en 1905. On y trouve aussi Joseph Binétruy, Albert Cherpin, Antoine Pirio, Pierre Verot et plusieurs autres. À Radville, voici Léon Bert, Jean Cancade, Maurice Craeyvelot, Jean Creuset, Jules Delanoy, Lionel Joanis, Louis Mazenc, Henri Rabin, Léon Carles.