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de New-York, pour se vouer à l’œuvre de la colonisation en Saskatchewan. Mais ce dernier choisit pour centre de ralliement un lieu plus rapproché du second que d’abord prévu. Ce que voyant, l’abbé Royer crut sage de chercher ailleurs, car ce qu’il voulait, lui, c’était fonder une colonie avec ses Auvergnats. Il se remit donc en route, avec quelques compatriotes, pour découvrir l’endroit rêvé. Que d’aventures encore, durant ces trois ou quatre mois de nouvelles explorations !

« Personne n’habitait ces prairies immenses où l’on restait facilement quinze jours sans rencontrer âme qui vive, pas même un cowboy, bien qu’il y eût partout, avec les loups et les antilopes, des bandes nombreuses d’animaux. Pas d’indications pour le voyageur ! De temps à autre, dans l’herbe, quelques soupçons de vieilles routes indiennes : tous les six milles, un piquet de fer. Il aurait fallu être bien chanceux pour tomber dessus. On se dirigeait au moyen de la boussole et d’une carte où les petits creeks étaient indiqués avec beaucoup d’erreurs que nous arrivions pourtant à rectifier. »

« Le soir, on cherchait de l’eau, on dressait la tente, on allumait du feu avec des brindilles de bois qu’on avait emportées et du « charbon de prairie ». Tout le monde sait dans l’Ouest ce qu’on appelle ainsi. Je me dispenserai de l’expliquer ; il suffira qu’on sache que c’est un produit de bêtes à cornes. Puis, tandis que l’un préparait le thé, l’autre cuisait le résultat de la chasse, quelquefois de la pêche.

« Alors c’était la veillée durant laquelle, si l’on avait oublié la chandelle, on en faisait avec les lacets de souliers qu’on enduisait de graisse.

« Venait ensuite le temps de se reposer. On étendait quelques couvertures sur le soi, heureux quand il n’était pas détrempé ; on prenait ses chaussures pour oreiller, on se couvrait de ses « capots » et l’on dormait comme des bienheureux. Au matin, on se mettait en route avec le soleil et bientôt l’on ne sentait plus du tout les courbatures cueillies durant la nuit. »


Notre-Dame-d’Auvergne

Enfin, après bien des marches et des contre-marches, le 17 août 1907, le chef de l’expédition ordonna de planter la tente sur une colline dominant un cours d’eau, avec la satisfaction d’avoir trouvé ce qu’il cherchait depuis si longtemps. On était sur les bords de la petite Vieille, qui se jette dans la grande près de Gravelbourg, distant de 50 milles environ. Au printemps suivant, le fondateur, revenu de France avec de nouveaux compatriotes, ouvrait la paroisse de Notre-Dame-d’Auvergne en y célébrant la première messe.

Les premiers colons, en grande majorité des Auvergnats, furent : Benjamin Brousse, Théodore Aurat, C. d’Arcy, les frères Barthélemy, Guièze, Cavalerie, Boutière, Carlier, Barthélemy Vaury, Thomas Rouzault, Le Barzie, Jean Bayle, Louis Battier, Joseph Cousin, Émile Froisse, Louis de Labareyre, P. Lagoutte, Joseph Morel, A. Palmier, Guillaume Rodier, Simon Petit, Emmanuel Pulvin, Henri Scheaffer, Fernand Thévenon. Plusieurs Belges arrivèrent en même temps : Hinque, Hilbert, Pieray, Vandoorme, etc. De nombreux Canadiens français vinrent ensuite. N’oublions pas les époux Lorenzino, Italiens francisés de longue date, qui ouvrirent la première épicerie.

Un modeste village s’éleva sur la colline et une chapelle remplaça la tente qui avait abrité les premiers services religieux. Dès 1913, six sœurs de Notre-Dame d’Auvergne venaient, à la demande du curé, fonder une école et un hôpital qui fut le premier de la région.

Parmi ces Français de transplantation récente, la guerre de 1914 causa une commotion profonde. Le Patriote de l’Ouest rapporte le trait suivant :

« Le dimanche 9 août, l’ordre de mobilisation est affiché à la porte de l’église et le lundi matin se présente déjà à la gare un groupe de réservistes. Le mardi matin a lieu le départ du premier contingent. Ces braves soldats ont fait, la veille, leurs adieux à leur curé. Cependant, avant l’arrivée du train, l’un des réservistes, René Barrault, accourt de nouveau au presbytère.

— Monsieur le curé, voulez-vous nous faire un grand plaisir à tous ?

— De tout cœur, mon ami.

— Eh bien ! donnez-nous l’un des deux drapeaux qui décorent votre salle à manger

— Tenez, le voici !

« Et le réserviste, après avoir serré contre son cœur le drapeau de la patrie menacée, le développe fièrement et, sous ses plis aux trois couleurs, se précipite à la gare en criant : « Vive la France ! »

« Quelques instants plus tard, de la porte du presbytère, l’autre drapeau saluait le départ du train et des braves patriotes français. »


L’arrivée du rail et la naissance de Ponteix

Cependant, l’arrivée du rail a bouleversé de fond en comble les premiers plans de la fondation. Comme il passe sur la rive opposée au village de Notre-Dame d’Auvergne, celui-ci s’est effacé pour faire place à un autre à portée de la gare. L’abbé Royer se retrouve curé de Ponteix, mais d’un Ponteix bien différent et plus ambitieux que celui du pays natal où il a vécu seize ans. Les travaux s’exécutent avec une rapidité extraordinaire. Un magnifique hôtel de $74,000 est élevé en quelques mois. Les magasins du vieux Notre-Dame traversent la rivière l’un après l’autre et s’installent dans des immeubles plus modernes et plus spacieux. Puis viennent une mairie, des trottoirs en béton, l’éclairage électrique et un champ de courses. La nouvelle église à peine achevée, en 1916, se montre déjà insuffisante pour la population toujours croissante. Elle peut cependant contenir cinq cents personnes assises et son coût total est de $30,000.

Au témoignage du Daily News, de Moose-Jaw, Ponteix était alors le plus joli village de