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la Saskatchewan, ayant les apparences d’une ville prospère, et ses 300 habitants représentaient « le type de l’esprit méridional dans l’Ouest canadien ». Rendons hommage en passant au maire Émile Forêt — un ancien de Montmartre — qui présida à cette œuvre de construction, tout en maintenant les finances municipales sur un pied ferme.

Mais les premières épreuves se font sentir. La grippe espagnole, plus cruelle que la guerre, fauche cinquante-deux victimes. Un an plus tard, un terrible incendie détruit presque tout un côté de la rue principale. On rebâtira plus solide et plus moderne.

Justement fier de sa paroisse, l’abbé Royer ne se faisait pas faute de la mettre en évidence. L’un des moyens employés pour cela fut un bulletin hebdomadaire de nouvelles inséré dans Le Patriote de l’Ouest sous la rubrique : L’Hirondelle de Ponteix. Bientôt, avec la collaboration de jeunes chroniqueuses et l’appui financier de la publicité locale, ce petit coin grandit au point de devenir toute une page.

L’esprit colonisateur qui l’avait amené dans l’Ouest canadien et l’expérience qu’il y avait acquise lui suggérèrent l’idée d’une initiative susceptible d’aider l’établissement de compatriotes dans ce pays d’avenir. Il fit des démarches auprès d’une communauté française pour l’engager à fonder, à Ponteix ou ailleurs, une école d’agriculture. Sans négliger les enfants du Canada, ces religieux auraient fait venir, de France et d’autres pays, des fils de famille se destinant à devenir colons. Mais le temps lui manqua pour faire aboutir le projet.


Mort subite de l’abbé Royer

Le curé fondateur ne put voir l’épanouissement complet de son œuvre. On le trouva mort dans son lit, au matin du 22 septembre 1922. Il avait veillé de longues heures, révisant une pièce de théâtre que devait monter un groupe de ses jeunes gens. Les Cloches de Saint-Boniface, après avoir rappelé son rôle important dans la colonisation du sud de la Saskatchewan, concluaient : « Prêtre très actif, bon orateur et habile écrivain, sa mort laisse un grand vide dans le diocèse de Regina. »

La pression ininterrompue des besoins nouveaux créés par les progrès rapides de sa fondation avait fait de l’abbé Royer un infatigable constructeur. L’heure des grandes épreuves était venue pour Ponteix. Cinq mois après la mort du pasteur, l’église qu’il avait édifiée et embellie avec tant de soins brûlait en pleine nuit d’hiver. Un mois plus tard, c’était l’école du village. Pendant plusieurs années, il fallut se contenter d’une salle provisoire pour les exercices religieux. Et puis, ce fut la dure période des années 30. Dans cette région complètement déboisée et à la surface du sol très légère, la sécheresse sévit avec fureur et se prolongea d’été en été. On dut abandonner les travaux de la nouvelle église. Les fidèles se demandaient avec angoisse si elle serait jamais achevée.

Mais tout cela est de l’histoire ancienne. Ponteix est aujourd’hui une petite ville prospère et accueillante, un centre d’affaires pourvu de toutes les commodités modernes. Grâce au cours d’eau de la Vieille — lui au moins a gardé son nom ! — on peut même y jouir de facilités balnéaires. L’église attire les visiteurs par ses dimensions imposantes et les belles lignes de son architecture. Les plans en furent dressés au temps du curé fondateur et sous son inspiration. On peut y voir une Pietà en bois dur, heureusement sauvée de l’incendie, que les connaisseurs déclarent dater de la fin du XVe siècle et qui est certainement la statue la plus ancienne du Canada. La paroisse compte 1,300 catholiques, presque tous de langue française.


Gravelbourg, Meyronne et Laflèche

Gravelbourg, émule de Ponteix, se développa avec plus d’ampleur et de rapidité encore. Ce centre canadien-français, siège d’un évêché depuis 1930, eut longtemps pour curé Mgr Charles Maillard, P.D., décédé en 1939. Né à Montreuil-sur-Mer (Pas-de-Calais), où son père, Jules Maillard, était journaliste, il fut ordonné à Saint-Norbert et y remplit les fonctions de vicaire, avant de devenir le premier curé résidant de Wolseley. Ce prêtre distingué, qui se doublait d’un artiste de qualité, est l’auteur de belles toiles qui ornent la cathédrale de Gravelbourg. Il a aussi décoré plusieurs églises de la région et même de la province de Québec.

Il y eut quelques Français, nous l’avons vu, parmi les premiers colons de Gravelbourg. Entre les deux guerres également, trois jeunes ingénieurs agricoles — Bernard Vincienne, de Reims, Albert Pinel, de Montluçon, et George Godel, de Fribourg (Suisse) — vinrent s’y installer et s’occupèrent notamment de l’élevage des renards. Il faut ajouter Félix Chalieux, Lyonnais venu du Manitoba.

En dehors de Gravelbourg et de Ponteix, on note dans le sud-ouest de la Saskatchewan un bon nombre de noms géographiques bien français, la plupart choisis par l’abbé Gravel : Lacordaire, Val-Marie, Lisieux, Cadillac, Dollard, Milly, Chambéry, Meyronne, Laflèche, Gouverneur, Carignan, Quimper, etc. Ces groupements, très variables en importance, sont en général de population mixte où l’élément français renferme des émigrés d’outre-mer mêlés à des Canadiens.

Meyronne, à l’est de Ponteix, est un nom importé du Lot par l’un des pionniers de l’endroit, Géraud. Un compagnon de celui-ci, Benjamin Soury-Lavergne, de Rochechouart (Haute-Vienne), décida l’abbé Jules Bois, né à Moncontour et curé de Chaunay (Vienne), à venir se fixer dans la jeune colonie. Parmi les autres de la première heure, il y eut Maurice Auvray, Paul Laville, les frères Verhelst, Édouard Roy, les frères Raonville, Napoléon Faucher. L’arrivée du chemin de fer nécessita le transport de la petite chapelle près de la gare, éloignée de trois milles.