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de Savenay (Loire-Atlantique), dont un fils, André, sera tué à la guerre ; les Phalempin, du Nord, dont Henri et Romain se signaleront sur les champs de bataille.

Les débuts furent, comme dans toute colonie naissante, très difficiles. La première année, pas de machine à battre. Les Denis, qui avaient ensemencé une centaine d’acres, durent battre au fléau pendant l’hiver plus de mille minots de grain, et les vanner ensuite quand le vent le permettait. Il fallait charroyer le blé aux élévateurs à douze ou quinze milles, sans chemins, et par des froids qui pouvaient atteindre 60 degrés au-dessous de zéro. Sans argent pour acheter du charbon, on devait parcourir à peu près la même distance pour trouver du bois de chauffage et des billots pour la construction. Pas de médecin, pas d’hôpital, pas d’église ; la plus proche était celle de Prud’homme, à une quinzaine de milles. Ces premiers colons ne se rendaient pas moins souvent à la messe, dans des « wagons » tirés par des bœufs ou des chevaux.

Les conditions s’améliorèrent assez rapidement. Quatre ans après son installation, Léon Denis, le père, fut gratifié d’une récolte de blé estimée à $6,000 et refusait pour ses propriétés une somme de $25,000.

En 1907, le groupe obtint un bureau de poste. À l’unanimité on choisit de l’appeler Saint-Denis, et le nom passa à la paroisse.


La famille Denis

Parmi les Français, la famille Denis a toujours tenu la vedette. Clotaire fut rejoint par son père, Léon, à l’automne de 1905. Celui-ci amenait avec lui sa femme, son plus jeune fils, Clodomir, et deux fillettes, Marie et Maria, 12 et 10 ans.

Un autre fils de Léon Denis, Raymond, était déjà au Canada depuis 1904. Il avait eu un premier apprentissage de la vie agricole de l’Ouest en faisant les moissons et les battages à Saint-Léon (Manitoba). C’est lui qui décida son frère, Clotaire, à s’engager dans la même voie.

La famille Denis fut la première à posséder une machine à battre, qui rendit de grands services aux cultivateurs de Saint-Denis et de Prud’homme. Clotaire passa toujours pour le chef incontesté de la paroisse. Durant la crise de 1925-1936, alors qu’un bon nombre de colons de langue française quittaient Saint-Denis, où les récoltes avaient manqué pendant plusieurs années consécutives, Clotaire achetait les terres délaissées, dans l’intention d’y installer plus tard ses fils, mais surtout pour tenir en échec certains éléments et empêcher un recul de l’influence française dans ce coin de territoire. Il a siégé pendant trente ans au conseil de la municipalité. Il est encore marguillier et commissaire d’école. Les Franco-Canadiens de la province l’élurent à plusieurs reprises directeur de leur Association des Commissaires d’écoles. Il est aussi président de Radio-Prairies-Nord. Bref, quoique septuagénaire, il prend toujours une part active à tous les mouvements qui peuvent servir la cause française.


Un chef national : Raymond Denis

Mais le grand homme de la famille est son frère aîné, Raymond Denis, dont le nom a depuis longtemps franchi les limites provinciales.

Nous avons dit qu’il fut le premier à venir au Canada et y attira la famille. Alors âgé de dix-huit ans, le jeune Raymond semble avoir été d’humeur assez aventureuse. Il se rendit jusqu’en Alberta sans découvrir de terre à son goût. À l’été 1906, on le retrouve à Montréal travaillant, le jour, à la construction, et le soir, au déchargement des navires qui apportent le blé de l’Ouest. Désireux de s’offrir un mois de vacances, il va voir sa famille à Saint-Denis. Il y rencontre Jeanne Hubert, une jeunesse de seize ans qu’il avait connue petite fille au pays natal. Tous ses plans d’avenir sont du coup modifiés ; les deux jeunes gens se marient et s’installent sur une ferme.

Simple cultivateur, Raymond Denis se passionna de bonne heure pour le problème national et scolaire. La province souffrant de pénurie d’institutrices bilingues, de recrutement difficile sur place, l’entreprenant jeune homme, à peine âgé de 30 ans, isolé à la campagne, prit l’initiative hardie de fonder l’Association Interprovinciale, qui se chargea d’en faire venir du Québec et de les préparer à l’enseignement dans l’Ouest. Non seulement l’entreprise réussit et donna les fruits espérés, mais son animateur tint dès lors un rôle de premier plan dans la lutte pour le français en Saskatchewan. Pendant une quinzaine d’années il fut l’âme du mouvement franco-canadien, à la tête de l’A.C.F.C. et de l’A.I. Connu partout, même dans les coins les plus reculés, il se rendit extrêmement populaire par son éloquence entraînante et sa connaissance approfondie de tous les problèmes intéressant la classe agricole.

Comme il menait de front la culture et les affaires d’assurance, ses succès dans ce dernier domaine lui valurent d’être appelé à Montréal pour y devenir le chef d’un important service à l’administration de la Sauvegarde. Ce n’est pas sans un vif regret que Raymond Denis s’éloigna d’un pays où il s’était tant dépensé pour ses compatriotes et où il comptait tant d’amis. Mais il n’a jamais rompu le contact intime avec sa chère Saskatchewan. En dépit d’une santé amoindrie par l’âge, il n’a pas hésité à venir prêter main-forte à ses anciens camarades, quand le besoin l’exigeait, et à s’imposer de harassantes tournées de conférences à travers les campagnes. Il a joué un grand rôle, notamment, dans la mise sur pied des postes radiophoniques de Gravelbourg et de Saskatoon,

Dans la province de Québec, où il vit depuis près de trente ans, Raymond Denis jouît d’une très haute estime dans tous les milieux et participe activement à l’œuvre du Conseil de la Vie française, qui accorde sa sollicitude et son appui financier à tous les groupes français