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J.-M. Drapeau y sera curé pendant plus de trente ans. À Biggar, l’abbé G. Simon, du diocèse de Nancy, mourra subitement en 1912, après moins de deux ans au pays.

Biggar se trouve à mi-chemin entre Saskatoon et la frontière albertaine. En 1908, Hilaire et Louis de Moissac, de Saint-Claude (Manitoba), épousaient les deux sœurs Marie et Antoinette de Bussac. La même année, se lançant un peu à l’aventure, ils allèrent s’établir à cet endroit, en pleine prairie, où ils furent parmi les premiers Français de la région. Charles et Jean de Moissac vinrent les y rejoindre. La génération nouvelle des Moissac et des Bussac a fourni des pilotes à l’aviation canadienne dans la seconde Grande Guerre. Les deux familles sont aujourd’hui représentées non seulement au Manitoba et en Saskatchewan, mais aussi en Alberta et en Colombie-Britannique.

Le village de Radisson, à mi-chemin entre Saskatoon et Battleford, n’a de français que le souvenir qu’il évoque du célèbre coureur de bois du XVIIe siècle. Plus au nordm Delmas doit son nom au P. Henri Delmas, qui dirigea l’école indienne du lieu, avant de passer à celle plus importante de Duck-Lake. Le village occupe l’emplacement d’un ancien camp de Cris dont le chef s’appelait L’Enfant-du-Tonnerre. Parmi les pionniers, Paul Pouzache, né à Joyeuse (Ardèche), et sa femme, Marie-Jane Lanigan. Le curé actuel est encore un Oblat français, le P. Jules Bidault, de Neuville-sur-Sarthe (Sarthe). Ce vieux missionnaire laissera le renom d’un grand bâtisseur. On l’a envoyé à Delmas avec mission spéciale de reconstruire l’église détruite par un incendie. C’était sa dix-neuvième entreprise du genre.

L’abbé Jean-Baptiste-Ferdinand Jullion, originaire du diocèse du Puy, exerça une fructueuse activité dans la région. Arrivé quelques mois après son ordination, en 1905, il fonda aussitôt la paroisse de Saint-Hippolyte, composée surtout de Canadiens français auxquels se joignirent quelques Français, et sut lui donner une vigoureuse impulsion. La guerre le retint quatre années outre-mer, après quoi il vint reprendre son poste qu’il garda jusqu’à sa mort.

Alphonse Jullion, de Sembadel (Haute-Loire), frère du curé fondateur, est mort en 1956, laissant sa femme et onze enfants, presque tous établis dans le district. Jean-Victor et Emmanuel Malhomme sont venus de la même localité.

Mgr Clovis Mollier, P.D., qui avait fait ses débuts plus au nord « dans la brousse », avant d’aller à Saint-Denis, fut plus tard curé de Saint-Hippolyte. Après quarante ans passés en Saskatchewan, il est rentré en France depuis quelques années et y dessert la paroisse de Casteljau (Ardèche).

Le nom de Cochin rappelle un autre missionnaire qui prit part à l’apaisement des tribus sauvages de la région de Battleford et fut prisonnier des rebelles, lors des troubles de 1885. Le P. Louis Cochin, de la Marne, fonda le centre de Jack-Fish, dont le premier curé séculier devait être l’abbé Jean-Pierre Esquirol.

À Edam, on remarque parmi les pionniers Germain Bec, né aux Quioc (Aveyron), dont les trois fils et les cinq filles demeurent sur des fermes de la même paroisse ; Georges Bellanger, de la Sarthe ; les frères de Montarnal, les frères Bru, Élie Esquirol, etc.

À Celtic. on retrouve des Bretons et des Savoyards, qui eurent longtemps pour pasteur le P. Joseph Portier, du diocèse de Nantes, lequel fit aussi la guerre de 1914.


La petite patrie d’un docteur ès lettres

À la Butte Saint-Pierre (Paradise Hill), non loin de la frontière albertaine, on trouve un petit groupe de Français implanté là peu avant 1914. Des gens du Sud-Ouest ; Tuèche, Lard, Roch. Des Bretons : Legrand, Marchadour, Bonnet, Roussel, Nédelec et autres. Dans une petite école des premiers temps, tous les élèves étaient des enfants de colons français. L’un de ces jeunes écoliers particulièrement doué a poussé très loin ses études. Albert Legrand, dont les parents venaient de Quimper, a fait son cours classique au Collège des Jésuites à Edmonton et passé son doctorat ès lettres à l’Université de Montréal. Entre temps, il a enseigné au Collège de Saint-Boniface, puis dirigé le service de l’information au poste de radio de cette ville. Aujourd’hui professeur au Collège militaire de Kingston (Ontario), Albert Legrand est en voie de se créer un nom comme critique averti des lettres canadiennes sous leur double forme d’expression. Il a donné des cours très remarqués aux Universités de la Colombie-Britannique et de Montréal.

Dans la région de Battleford, les souvenirs du temps des Indiens demeurent toujours vivaces. L’écrivain-voyageur Victor Forbin, très friand de ce genre de couleur locale, y recueillait le trait suivant, entre les deux guerres :

Un Français, Georges Perrissin, au pays depuis 1906, remplit très longtemps les fonctions de juge de paix. L’une des causes les plus mémorables dont il eut à s’occuper fut celle du vieux chef Le-Fils-de-la-Rivière, âgé de quatre-vingt-quinze ans. Parti pour la chasse avec sa bande et trouvant, au retour, son lieu de campement occupé par un colon anglais, il avait saccagé furieusement la clôture de l’intrus. Le juge lui demanda :

— Qui t’a donné le droit d’habiter ici (hors d’une réserve) ?

— C’est Dieu, répondit-il, un bras solennellement levé vers le ciel.

Aux yeux de la loi, le Blanc avait raison contre le Rouge. Celui-ci fut condamné au minimum de la peine — un dollar — et l’Anglais paya les frais.[1]

  1. A.-G. Morice. O.M.I., Saint-Front (Le Canada français), janvier 1929.

    Victor Forbin, 17,000 kilom. de film au Canada, Paris, 1928.