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au fort Garry, fut le capitaine Louis Frasse de Plainval, dont la famille habitait Autenair (Ardèche). Comment échoua-t-il sur les bords de la rivière Rouge et gagna-t-il la confiance des autorités ? Il eut le premier, dit-on, l’idée de la création du fameux corps de Police montée du Nord-Ouest. On ne sut que plus tard ses antécédents suspects. Plainval, qui possédait une très belle voix, créa une sensation à la cathédrale de Saint-Boniface en chantant le « Minuit, Chrétiens ». Il renouvela cet exploit à chaque Noël vécu dans ce milieu. D’abord très sympathique à la cause des Métis, il se tourna contre eux à la suite de son chef, le procureur général Clarke, devenu l’ennemi personnel de Riel. Le chef policier, démissionnaire, eut une fin peu honorable, ayant pris la fuite aux États-Unis avec l’argent de ses associés dans une vague affaire d’organisation de concerts dont il était l’imprésario.


Quinze Français au Manitoba en 1870

Le premier recensement officiel du Manitoba, en 1870, révéla que quinze habitants de la nouvelle province étaient nés en France. À la suite de la guerre franco-allemande, le Canada offrit généreusement l’hospitalité aux Alsaciens-Lorrains désireux de s’expatrier. Dans la première brochure de colonisation diffusée en France par le gouvernement canadien — Le Canada, appel aux classes ouvrières — une invitation spéciale leur était adressée. « Le Canada, y lisait-on, est un pays qui a beaucoup de ressemblance avec l’Alsace. Il est traversé par un beau fleuve, plus important même que le Rhin ; il possède une foule de chutes d’eau, comme celles qui viennent des Vosges ; il est à peu près dans les mêmes conditions de climat, le sol est aussi fertile que celui de l’Alsace et les produits en sont tout aussi variés et à peu de différence près les mêmes. »

Cette brochure était distribuée par Gustave Bossange, agent du gouvernement canadien, fils du libraire-éditeur parisien Hector Bossange, en relations d’affaires avec les librairies de Québec et de Montréal.

De rares Alsaciens-Lorrains répondirent à l’offre des autorités canadiennes. L’ancienne colonie française d’Amérique n’était guère connue en Europe. Ceux qui se laissèrent tenter se recrutaient surtout parmi des éléments peu recommandables, en partie des épaves de la Commune, appartenant pour la plupart à l’industrie parisienne. « Il eût été aussi judicieux, remarque Gustave de Molinari, d’envoyer à Paris des cultivateurs canadiens ! Cette expérience a eu naturellement pour résultat de dégoûter les Canadiens des émigrants français et de décourager les Français d’émigrer au Canada… »

Ceux qui s’aventurèrent jusqu’à la Rivière-Rouge n’appartenaient pas à la dernière catégorie, mais furent très clairsemés. C’est à peine si nous pouvons en citer une demi-douzaine se rattachant à cette époque.

L’Alsacien François Gigot, arrivé en 1872 au Manitoba, à 34 ans, occupa durant une législature, de 1883 à 1886, le siège de Saint-François-Xavier. Il fut à l’emploi de la Compagnie de la Baie d’Hudson pendant de très longues années, en dernier lieu comme gérant du poste de Nelson (Colombie-Britannique). À 89 ans, il était encore très alerte comme secrétaire de la Chambre de Commerce de cette ville, où l’auteur eut le plaisir de le rencontrer en 1926.

Nicolas Thille quitta Oudren (Moselle) en 1873 pour venir s’établir à Rosthern, en Saskatchewan. Beaucoup plus tard, cette circonscription aura pour député le Dr J.-M. Uhrich, qui deviendra ministre de la Santé publique à Régina et lieutenant-gouverneur de la province. Sa famille avait émigré d’Alsace dans l’Ontario après la guerre de 1870 et l’un de ses frères pratiqua la médecine à Paris.

Le Lorrain Charles Vouriot se fixa en 1875 à Saint-Norbert, où plusieurs compatriotes devaient le rejoindre.

François-Antoine Muller, né en Alsace en 1848, fait prisonnier en 70, émigra peu après au Canada. Son frère aîné était déjà installé à St. Catharines (Ontario). Il y resta aussi quelques années et épousa sa belle-sœur, Marie-Justine Herr, venue en même temps que lui. Vers 1878, les Muller atteignirent Winnipeg et, de là, le point appelé aujourd’hui Holland, où ils prirent un homestead. Pour s’y rendre, on suivait la vieille piste indienne entre le lac Manitoba et la rivière Souris. On allait s’approvisionner, le plus souvent à pied, jusqu’à Portage-la-Prairie, à 40 milles. Muller sut ce que peut peser sur l’épaule un sac de farine de 60 livres après une journée de marche. La première petite maison en rondins n’avait pas de poêle, mais un foyer conique du plancher au toit, ce dernier fait de perches recouvertes d’une épaisse couche de terre glaise. Les Indiens de passage avaient coutume d’entrer sans cérémonie, pour se sécher ou prendre leur repas. Ils s’accroupissaient devant le feu et causaient tout bas entre eux, sans se soucier le moindrement des propriétaires. À leur façon, cependant, ils payaient le prix de cette hospitalité. Jamais ils ne partaient sans avoir préparé à la maîtresse de maison une bonne provision de bois.

Pourquoi Muller s’enfonça-t-il dans le pays perdu de Holland, alors que tant de place libre s’offrait à la porte de Saint-Boniface, où il devait s’installer vingt ans plus tard ? Ce qui l’avait attiré vers ces terrains éloignés, c’est qu’ils demeuraient longtemps humides, l’eau ne se retirant qu’à la fin de juin. Là où il n’y avait ni bois ni broussaille, le foin poussait en abondance. Avec le temps, les conditions changèrent et ce furent de splendides terres à blé.

Les Muller eurent treize enfants, dont douze survécurent. Le plus jeune des fils, Céleste, est inspecteur d’école ; un autre, Cyrille, est inspecteur des bâtiments pour la ville de Saint-Boniface. Une des filles, Louise, épousa Jules Mager, fils de Victor ; une autre, Eugénie, fut la femme de Joseph Vermander. La famille vint s’établir à l’est de Saint-Boniface en 1900.