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origines. Mais dès que la chose leur fut possible, ils se construisirent de bonnes demeures qu’ils meublèrent avec goût. Le colonel Félyne, en particulier, habita une grande maison à deux étages richement garnie. Les blocs de ciment qui entrèrent dans sa construction subsistent encore, utilisés plus tard dans divers bâtiments du village. L’amusement principal des gentlemen-farmers semble avoir été, pour quelques saisons du moins, la chasse aux coyotes ; plusieurs y gaspillèrent du temps et de l’argent. Theodolo-Theodoli possédait la meute de chiens la plus fameuse de la province. Ils eurent aussi la passion des beaux chevaux et Félyne fit venir de France un étalon pur-sang.

Cependant, cette vie de grands seigneurs fut de courte durée. Quelques-uns, délaissant peu à peu le ranch, prirent une part active à la vie du centre qui croissait en importance. C’est ainsi que Reinach-Werth et Theodolo-Theodoli mirent sur pied une crémerie. Catalina ouvrit la première salle de danse, qui devint rapidement célèbre, grâce à son luxe remarquable pour le lieu et l’époque. Le comte de Chauny construisit une écurie de louage. Trochu s’érigea en municipalité et Reinach-Werth en devint le premier maire. Mais les Français n’allaient pas garder longtemps cette prépondérance des débuts. D’autres éléments, arrivés en plus grand nombre, réduisirent peu à peu l’influence des promoteurs.


Le groupe français de Red-Deer et la colonie phalanstérienne du lac Sylvan

Le même recul se produisit sur d’autres points de la région. Innisfail, où s’étaient d’abord fixés les Pères de Tinchebray, ne répondit pas à leur attente. La population catholique franco-belge, au lieu d’augmenter, commença à s’éclaircir. Ils se transportèrent à Red-Deer, où leur mission s’éleva sur le plus haut point de la colline dominant la ville. Le presbytère abrita douze jeunes garçons à qui les PP G. Roncy et P. Lamort enseignaient le français, le grec et le latin. L’idée première avait été la fondation d’un collège ou d’un orphelinat agricole ; mais la nécessité d’un tel établissement ne paraissait guère se faire sentir et la communauté finit par se consacrer uniquement au ministère paroissial. Sept Filles de la Sagesse venues de France fondèrent au même endroit un pensionnat aux débuts modestes.

Parmi les premiers Français arrivés à Red-Deer, on trouve A.-J. Lerouge, de Lille, qui s’efforcera d’attirer des compatriotes. Il fera un voyage au pays natal, où il recrutera des Français et des Belges désireux de se livrer à l’élevage. J.-B. Durand, originaire de la Mayenne, agent d’immeubles, est le chargé d’affaires de capitalistes français, entre autres, le Dr Dassonville, de Roubaix (Nord), l’abbé de Lalande, de Verneuil (Eure), Stanislas Ménard et le marquis d’Hérouxville, de Paris. Eugène et Antoine Villart sont associés dans le commerce des chevaux. Jean Demasse tient une maison de pension. Les frères Stéphane, Gaston, Paul, Joseph et René Jaspar, venus du Nord, s’initient aux affaires comme commis de magasin.

Dans un large rayon autour de Red-Deer, en plus d’Innisfail et de Trochu, plusieurs centres le long de la voie ferrée, comme Olds, Penhold, Gaetz Valley, Lacombe, Sylvan Lake, comptent des Français et des Belges nouvellement arrivés. Au lac Sylvan, situé à une quinzaine de milles à l’ouest, se rattache le souvenir d’une éphémère colonie phalanstérienne inspirée des doctrines sociales de Fourier. Un médecin de Paris, le Dr Tanche, avait réussi à grouper une trentaine de familles désireuses de lier leur sort par la mise en commun de leurs ressources et de leur travail. Les bords enchanteurs du lac Sylvan offraient un cadre idéal pour cet éden rêvé. Mais ces Parisiens férus de vie champêtre et de fraternité étaient aussi peu préparés que possible aux réalités de l’existence qui les attendait. Ce fut l’éternelle histoire de toutes les entreprises généreuses et chimériques de ce genre. La brève période d’exaltation des débuts fit place à des déboires, à des frictions, à des querelles. Au bout de quinze mois, la dislocation était définitivement consommée, en dépit des efforts désespérés du Dr Tanche pour maintenir le lien communautaire. La moitié de ses disciples repassèrent en France. Les autres, assagis par cette dure expérience, tentèrent de mener seuls leur propre barque. Au nombre de ces derniers, on remarquait la veuve Vasseur et ses cinq fils, installés sur une ferme à Penhold.

Quelques années plus tard, dans la même vallée de la Red-Deer, une jeune Française d’Armentières (Nord), Mme Gendre, veuve à 27 ans avec cinq enfants, dirigera avec courage et savoir-faire la ferme de son mari gazé à la guerre.


Le prêtre Savoyard François Ferroux

En même temps que le groupe d’officiers français jette les bases de Trochu et que des compatriotes travaillent à s’implanter dans la région de Red-Deer, d’autres noyaux non moins prometteurs surgissent ici et là dans la province. En 1903 et 1904, l’abbé Jean-François Ferroux, né à Villard-Léger (Savoie), alors curé de Saint-Avre, près de La Chambre, décide une trentaine de familles de sa région, en particulier de Fontcouverte, Jarrier, Aiton, Villard-Léger, Saint-Rémy, etc., à émigrer dans l’Ouest canadien. Quelques-unes se fixent au Manitoba, où elles réussiront. Les autres suivent leur chef au nord de Stettler, où il fonde Notre-Dame-de-Savoie et autres petites missions. Actif et plein d’initiative, voulant prêcher d’exemple, l’abbé Ferroux fait l’acquisition d’une ferme et d’animaux auxquels il donne tous les soins voulus, sans trop se demander si son rôle de chef d’exploitation agricole ne va pas nuire à ses charges pastorales.

Le curé fondateur s’efforce aussi de montrer quel avantage le capital français pourrait retirer de la naissance d’une multitude de petites villes dont plusieurs seront avant peu des centres importants. Ces villes surgissent comme