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peuplée et Victoria la plus forte agglomération de la colonie. L’invasion de prospecteurs, de mineurs, d’aventuriers et de brasseurs d’affaires pressés de s’enrichir venait de la Californie, où les gisements du précieux métal commençaient à s’épuiser. Il y avait parmi eux une bonne proportion de Français. On a dit qu’ils furent quelque temps plus nombreux que les Canadiens et les Américains, mais c’est probablement exagéré. Cette émigration de Français vers la Californie datait des années 1849-1851, période de malaise économique et de chômage. D’autres Français venaient du Mexique, du Chili, de la Louisiane.

Qu’est-ce qui distinguait ces Français d’Europe dont une partie allait se déverser en Colombie-Britannique ? Un journal de San-Francisco, Alta California, écrivait le 13 mai 1853 : « Il y a dans notre ville quelque six mille Français. Ils se livrent à toutes sortes d’occupations : ils sont banquiers, médecins, spéculateurs en terrains, importateurs, revendeurs en gros, marchands au détail, mécaniciens et journaliers. Une bonne proportion d’entre eux sont riches, presque tous industrieux et bons citoyens… Ils viennent de toutes les parties de la France… Très peu se proposent d’établir leur foyer en Californie ; ils soupirent après le temps où ils auront amassé assez d’or pour retourner vivre à l’aise et indépendants chez eux. Ils mettent peu d’empressement à apprendre l’anglais, sans doute parce qu’ils n’ont pas l’intention de se fixer ici définitivement. »

Il y avait certes des hommes capables parmi ces mineurs français et le gouverneur Douglas accorda de bonne heure à l’un d’eux un emploi officiel. O.-J. Travaillot — mieux connu comme le capitaine Travaillot — arrivé dans la colonie au printemps 1858, s’était porté très avant à l’intérieur. Ayant envoyé quelques rapports au gouverneur, il fut nommé presque aussitôt officier de la douane pour le district de Fort Dallas, au coude de la rivière Thompson. Ses fonctions consistaient à émettre des permis aux mineurs et à percevoir de ceux-ci les droits légaux. Il avait le pouvoir de lever et d’entretenir un personnel de huit hommes pour le service du gouvernement. Travaillot fut ensuite longtemps commissaire adjoint de l’or. Ce fut lui qui arpenta l’emplacement de la ville de Hope et en traça le plan. À noter qu’un grand nombre des rapports adressés par ce haut fonctionnaire au gouverneur étaient rédigés en français et passèrent tels quels dans les documents parlementaires.


« Le Courrier de la Nouvelle-Calédonie »

Un autre fait qui met en relief l’importance de l’élément français fut un journal publié dans sa langue — le premier à l’ouest des Grands Lacs. Le Courrier de la Nouvelle-Calédonie vit le jour à Victoria le 11 septembre 1858 et paraissait trois fois par semaine. Il se présentait comme « journal politique et littéraire, organe de la population française dans les possessions anglaises ». Son directeur était un certain comte Paul de Garro, réfugié politique du Second Empire. Le matériel d’imprimerie, assez rudimentaire, appartenait à Mgr Demers. Il consistait en une presse à bras et quelques casses de caractères reçues en don de l’Œuvre de la Propagation de la Foi, pour les besoins du diocèse. L’aventure était osée et l’animateur l’avouait carrément dans son premier numéro. « En entreprenant la publication d’un journal français dans cette colonie, écrivait-il, je ne me suis pas dissimulé les nombreuses difficultés que j’aurais à surmonter pour édifier une œuvre durable… Il m’a fallu en quelque sorte créer avec presque rien Le Courrier de la Nouvelle-Calédonie. Cependant, fort de la sympathie que mes compatriotes ne manqueront pas d’accorder à une feuille française, je suis hardiment entré dans la lice, comptant sur l’appui de mes amis et de tous ceux qui, à un titre quelconque, aiment le nom français… Si le concours de la communauté ne me fait pas défaut, j’espère que Le Courrier de la Nouvelle-Calédonie tiendra plus qu’il ne promet et que le résultat sera aussi satisfaisant pour les intérêts des uns et des autres que pour ceux de votre dévoué serviteur — P. de Garro. »

Ces espoirs ne se réalisèrent pas. Au bout de trois semaines, le journal dut cesser de paraître, sans doute à cause d’une clientèle trop restreinte et de ressources insuffisantes. Son directeur devint garçon de restaurant. Trois années plus tard, le malheureux périt victime d’une explosion de chaudière sur un bateau qui le transportait, avec d’autres chercheurs d’or, vers les mines du Caribou.

Mais la petite presse pionnière de fabrication française ne devait pas rester inactive. Elle imprima d’abord, à Victoria, le British Colonist, toujours vivant et centenaire, qui eut pour fondateur le célèbre et pittoresque Amor de Cosmos, futur premier ministre de sa province. Ensuite, elle prit le chemin de la grande région minière et travailla longtemps pour le Cariboo Sentinel, à Barkerville. En 1880, elle passa au service de l’Inland Sentinel, qui se publia successivement à Emory (bas Fraser) et à Kamloops. En 1912 seulement, après plus d’un demi-siècle de constant et loyal labeur, la vaillante petite presse française prit enfin sa retraite en revenant aux lieux de ses premiers exploits. On la conserve comme une relique historique au pensionnat de Sainte-Anne, de Victoria, non loin du Palais législatif.


La colonie française de Victoria

Beaucoup de chercheurs d’or français, comme les autres, ne firent qu’un bref séjour en Colombie, ou rebroussèrent chemin sans même s’être rendus jusqu’aux placers, d’accès très difficile. Mais un noyau représentatif resta au pays, surtout à Victoria et dans la région, où on les vit bientôt à la tête de fermes prospères. Pour répondre aux besoins de la population, les Oblats ouvrirent le Collège Saint-Louis, qui recevait indistinctement les fils des indigènes et ceux des nouveaux venus, catholiques, protestants, israélites ; mais il devait se transporter assez vite à New-Westminster.