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missionnaire, mais pourquoi est-il épelé « Pendosi » ?…

Dieu lui épargna la douleur d’une perte matérielle qui lui eût été très sensible. La propriété de la mission, à Okanagan, avait été transférée à la mense épiscopale de New-Westminster. Un Américain possesseur d’une mine de valeur très douteuse était à la recherche de fonds pour l’exploiter. Mgr Durieu, missionnaire tout à fait remarquable auprès des Indiens, mais n’entendant rien aux affaires temporelles, se laissa prendre aux belles paroles de l’habile enjôleur. En retour d’un paquet d’actions frauduleusement cotées $33,000, il lui céda les deux mille acres de la mission. L’Américain, en les revendant, devait réaliser un bénéfice net de $100,000. Quant aux actions de la compagnie minière, l’évêque trop confiant n’en retira pas un sou…


Une lignée de rancheurs Savoyards

Dans certaines parties de la province, les ranches ont gardé leur prestige et leur pittoresque d’autrefois. Les Français y réussissent non moins que les autres. Comme la plupart des premiers éleveurs, Joseph Guichon, né à Chambéry, fut un ancien mineur qui renonça à la recherche des pépites pour exploiter la richesse des herbages. Ses descendants ont continué dans la même voie. Venu peu après 1860, le Savoyard amenait des chevaux et des mules qu’il fit hiverner dans la région de Kamloops. Bientôt il put se consacrer uniquement à l’élevage des chevaux et des bêtes à cornes. Après 1870, il fit l’acquisition de terres dans la vallée Nicola et ses domaines s’agrandirent au cours des années.

Joseph Guichon prit part à la célèbre chasse à l’homme contre les frères Maclean, redoutables bandits et voleurs de chevaux qui terrorisèrent le pays, allant jusqu’à tenter de soulever les Indiens contre les Blancs. Les meurtriers périrent sur l’échafaud. Plus heureux que beaucoup d’autres, le pionnier savoyard put traverser sans trop de dommage le dur hiver 1886-87, qui décima de nombreux troupeaux de bovins.

Le ranch Guichon est l’un des rares, et peut-être le seul, des plus anciens demeurés dans la même famille. Les trois fils et les quatre filles du fondateur le détiennent depuis 1918. Jusqu’à tout récemment, il était dirigé par Laurent Guichon, célèbre dans le monde de l’élevage, à qui l’Université de la Colombie-Britannique décernait en 1953 un doctorat honorifique ès sciences, pour services signalés à cette industrie. Le premier établissement est aujourd’hui divisé en deux ranches : l’un de mille moutons et d’autant de bovins, ayant à sa tête Charles et Gérard Guichon, fils de Laurent ; l’autre sous la direction de Guy Ross, un neveu. Au ranch Beaver, pittoresquement situé entre des crêtes de montagnes au nord du lac Nicola, on fauche et l’on met en balles, chaque été, 1,500 tonnes de foin. Grâce aux progrès de la mécanisation, sept hommes suffisent à cette besogne qui nécessitait jadis trente travailleurs et de nombreux attelages.

Laurent Guichon épousa à New-Westminster une compatriote savoyarde, Péronne Ray. Comme à-côté de ses occupations de rancher, il fit l’acquisition de 500 hectares sur la rive gauche du Fraser, à son embouchure. La maison qu’il y construisit est encore habitée. Elle se distingue par son cachet particulier de l’époque : double véranda entourant trois côtés de la demeure, avec dentelles de bois style Victoria. Ce coin de terre d’une fertilité exceptionnelle devint le centre d’un petit noyau de catholiques composé de Savoyards et d’Autrichiens. Le rancher fit don du terrain pour la construction d’une église et l’endroit s’appela primitivement Port-Guichon, avant d’adopter le nom actuel de Ladner. D’autres colons français se trouvaient alors — et il s’en trouve toujours — ici et là dans la vallée du Fraser, à Langley-Prairie, Mission, Chilliwack, Hope, Yale, etc.


Le roi des « packeteurs » : le Basque Jean Caux

Dans ce vaste territoire extrêmement boisé et montagneux, il fallait compter avec les obstacles qui retardaient la pénétration à l’intérieur. Le bas Fraser offrait un moyen d’accès relativement facile aux premiers chercheurs d’or, mais la ruée vers le Caribou compliqua singulièrement les difficultés du transport. À partir de Yale, toute navigation devenait impossible. Le ravitaillement en provisions de bouche et en équipement se faisait par les pack-trains, longues caravanes composées d’une cinquantaine de bêtes de somme — chiens, bœufs, mulets, chevaux — qui acheminaient lentement et dangereusement vers le Nord des tonnes de marchandises précieuses et variées. La construction de la fameuse route du Caribou (850 milles) permit l’entrée en scène des lourds chariots à bâche et des diligences tirés par six chevaux. Le prix des messageries dégringola d’un seul coup d’un dollar à quinze cents la livre, mais les pack-trains survécurent à cette concurrence redoutable.

L’ancienne industrie pittoresque, dont l’âge d’or remonte à près d’un siècle, compta parmi ses grands chefs un curieux et quasi légendaire personnage venu de la frontière franco-espagnole. Son habitude d’employer à tout propos le mot « Catalina », comme une sorte de juron, lui avait mérité le sobriquet de « Cataline », sous lequel tout le monde le désignait ; mais il s’appelait en réalité Jean Caux (en basque Yinkoa, à peu près l’équivalent de mon Dieu !). Chassé de son village natal lors du coup d’État de Napoléon III, il avait franchi l’Océan et s’était dirigé par étapes, tout en travaillant, vers le Pacifique. Si bien que la fièvre de l’or le poussa, comme tant d’autres, jusqu’en Colombie-Britannique. Nul doute que le souvenir des Pyrénées de son enfance facilita sa rapide acclimatation. Il pouvait comprendre le français et l’espagnol, mais dans la vie courante, il se servait d’un dialecte à lui — mélange d’anglais, de français, de chinouk et d’argot forestier, entrelardé de termes basques. Chose certaine, il jurait et calculait en basque.