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Dans le même temps, un autre Français d’humeur aventureuse, Élie Lequime, qui vivait depuis trois ans en Californie, avec sa femme et deux jeunes enfants, répondait à l’appel irrésistible de l’or et arrivait en Colombie. À Fort-Hope, sur le bas Fraser, il travailla pendant douze mois comme mineur. La nouvelle se propagea qu’un gisement venait d’être découvert à l’intérieur, sur le Columbia. Aussitôt Lequime se mit en route avec plusieurs autres. Ils n’avaient tous ensemble que trois chevaux de bât et les femmes durent marcher comme leurs maris. Les deux petits garçons, Bernard et Gaston, se laissèrent attacher solidement à la pointe des bagages.

Après une randonnée pénible de deux cents milles le long de la frontière américaine, par des sentiers dangereusement escarpés, la caravane atteignit Rock-Creek. Il y avait là des mines en exploitation ; les voyageurs fourbus ne résistèrent pas à la tentation d’y élire temporairement domicile. De dures épreuves y attendaient la famille française. Gaston se noya dans une écluse. Son frère, Bernard, fut enlevé par un Indien. Après une chasse mouvementée au ravisseur dans la direction du sud, on retrouva heureusement le petit sain et sauf.


Le P. Pandosy recrute son premier colon

L’année suivante, voici les Lequime encore par monts et par vaux. Cette fois, l’objectif est le Caribou, à près de 300 milles de Rock-Creek. Mais ils n’arriveront pas à destination. En cheminant le long du lac Okanagan, ils font la rencontre d’un prêtre français qui les engage à prendre une terre près de sa mission. Le mari et la femme se consultent. Après tout, pourquoi pas ?… Au fond, ils en ont assez d’errer ainsi en pays inconnu, à la recherche d’une fortune problématique, sans foyer pour eux et leur enfant. Que risquent-ils à suivre le conseil de ce compatriote, à tenter de s’établir à demeure dans cet endroit fertile et attrayant ?…

Le P. Pandosy a recruté son premier colon. Un peu plus tard, il obtient le même succès auprès de deux hommes de la Compagnie de la Baie d’Hudson ; et le petit noyau va grossir peu à peu. Les Lequime furent ainsi, après les missionnaires, les premiers Blancs à cultiver le sol dans la vallée de l’Okanagan, et Bernard en fut le premier enfant. II eut bientôt un frère, nommé Gaston en souvenir du cher disparu, puis un autre, Léon. Lequime fut le premier marchand d’Okanagan-Mission. On raconte qu’un jour, flânant tout près de chez lui, il eut la surprise de voir surgir du bois un Indien nu qui se mit à le poursuivre, un couteau à la main. Il se précipita dans sa maison, ferma vivement la porte sur le bras de son agresseur et cria à sa femme de lui apporter la hache. Son dessein était de désarmer à coup sûr le meurtrier en lui tranchant la main, mais Mme Lequime dissuada son mari de commettre un acte aussi cruel.

Tout au début de la petite colonie française, un envoyé du gouverneur James Douglas se plaît à souligner l’aspect agréable des bâtiments de la mission et des fermes naissantes. « Les prêtres, ajoute-t-il, ont une école pour les enfants des colons. À mon retour, j’ai trouvé le P. Richards (sic) dans une classe proprette, enseignant à lire et à écrire à cinq ou six élèves. Toute l’instruction se donne, dans cette école, en langue française… Avec un bon moulin à farine sur place et des mines dans le voisinage, ce centre agricole deviendra, sans aucun doute, l’un des meilleurs de la colonie. »

Cette prédiction allait se réaliser. La ferme d’Élie Lequime prospéra si bien qu’après vingt-cinq ans il se retirait avec sa femme à San-Francisco, laissant le domaine entre les mains de ses trois fils. Cette même année, un autre rapport officiel mentionnait les vergers de la mission et ceux des frères Lequime comme les plus prometteurs du district.


Un homme qui pense à tout

La région de l’Okanagan avait été, à l’origine, un territoire de chasse. Quand les chercheurs d’or l’envahirent, la nécessité de nourrir ces hommes, réputés gros mangeurs, fit naître l’élevage du bétail. On dit que le P. Pandosy et ses confrères introduisirent le premier troupeau de bêtes à cornes dans la vallée. Dès que cette industrie manifesta quelques signes avant-coureurs de déclin, l’ingénieux missionnaire planta le premier verger. On pense bien que l’exemple fut suivi, et avec un succès toujours croissant.

Quel homme d’une activité étonnante que cet apôtre marseillais et que de prouesses à son crédit : « fondateur de la première colonie permanente de l’Okanagan, constructeur de la première église, de la première école et du premier moulin, officiant du premier mariage, introducteur du premier troupeau, planteur des premiers arbres fruitiers !…

Entre temps, le centre de Kelowna se formait, en prolongement de la mission. Bernard Lequime traça le plan de la ville en 1891. C’est aujourd’hui l’une des plus belles de la province, point important de distribution pour les producteurs de la vallée. L’origine de son nom mérite d’être contée. Un vieux Français d’aspect assez rustre, Auguste Gillard, habitait là autrefois une cabane demi-souterraine. Un jour que des aborigènes l’en virent sortir à quatre pattes, ils le baptisèrent en plaisantant « Kim-ach-touch » (Ours brun). Le nom lui resta, ainsi qu’à l’endroit. Plus tard, comme on le trouvait un peu compliqué et farouchement indien, on y substitua « Kelowna » (Ours grizzlé).

Vernon, au nord, bénéficia aussi de la sollicitude des missionnaires et s’appela d’abord « Priest Valley ».

Le P. Pandosy vécut assez vieux pour assister au plein épanouissement de son œuvre d’apôtre et de colonisateur. Travailleur infatigable, il mourut sur la brèche, à soixante-dix-sept ans, des suites d’une chute de cheval en se rendant au chevet d’un malade. La rue principale de Kelowna porte le nom du fameux