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Chapitre XXVIII


Vancouver passe au premier rang — La grande famille des Paris — Jean-Pierre Haramboure, le géant des forêts — Autres Français de Vancouver — Où l’on retrouve l’abbé Ferroux — Deux frères Basques dans la région de Kamloops — Maillardville, agglomération de langue française — Les francophones se groupent à Vancouver et ailleurs


Vancouver passe au premier rang

Le lecteur trouvera peut-être que nous tardons à parler de Vancouver, qui occupe la première place en Colombie-Britannique et la troisième parmi les grandes cités du Canada. Faut-il rappeler qu’elle compte à peine soixante-dix ans et n’existait pas encore lorsque se déroulaient la plupart des événements relatés plus haut ? Le Pacifique Canadien la fit naître en pleine forêt vierge lorsqu’il choisit le terminus de sa ligne transcontinentale. Elle s’appela d’abord Granville, nom que porte aujourd’hui sa rue principale. Ce n’était pas en souvenir du petit port normand de la Manche, comme se sont plu à l’écrire Pierre Foursin et quelques autres voyageurs français, mais en hommage à lord Granville, secrétaire britannique aux colonies.

Beaucoup plus jeune que Victoria et New-Westminster, Vancouver les a rapidement devancées. Sa victoire s’affirma en 1908 lorsqu’elle enleva d’un seul coup à celle-ci son évêché, à celle-là son siège de province ecclésiastique. Le premier archevêque de Vancouver, nous l’avons dit — élu mais non intronisé — fut Mgr Dontenwill. Refoulée dans son île à la toute extrémité sud-ouest de la Colombie, Victoria n’en demeure pas moins toujours la splendide capitale. Étant donnée la transformation profonde de cette partie de l’Ouest canadien, les Oblats de naissance française s’en sont effacés peu à peu, avec la disparition des derniers survivants de l’âge d’or des missions indiennes. Mais il faut noter qu’une jeune communauté de France, celle des Petites Sœurs de Jésus, du Père Charles de Foucauld, a pris pied sans bruit à Vancouver depuis la dernière guerre. De là, elle a même essaimé jusque sur la côte de la mer de Behring.

La métropole du Pacifique compta toujours des Français parmi ses habitants, mais leur présence y demeura assez longtemps peu perceptible. C’est au début de ce siècle seulement que se révèlent quelques compatriotes dignes de fixer l’attention. Des Basques y figurent au premier rang, soutenus par les fortes traditions de leur race — fierté, honnêteté, activité — qui les distinguent dans tous les pays où ils émigrent.


La grande famille des Paris

En tête, voici les Paris, qui détiennent une place unique. Le 14 octobre 1958, les membres de cette grande famille célébraient le centenaire de naissance de leur ancêtre, Bertrand Paris, de Saint-Pée-sur-Nivelle (Basses-Pyrénées). La messe solennelle, à l’église française du Saint Sacrement, fut chantée par l’un de ses petits-fils, l’abbé Charles Paris. Secrétaire honoraire de son église paroissiale, Bertrand Paris remplit ses fonctions pendant près de soixante ans sans manquer un seul dimanche et se vit décerner la décoration papale « Bene Merenti ». Il mourut en 1942, à l’âge de quatre-vingt-quatre ans, après avoir élevé quatorze enfants, dont quatre fils et une fille vinrent s’établir en Colombie-Britannique.

Nous avons déjà fait la connaissance de Jean-Pierre Paris, débarqué à Vancouver en 1903, aujourd’hui agriculteur et éleveur dans le sud de l’Alberta. Ce premier Basque de Saint-Pée était un neveu de Bertrand Paris. Quatre ans plus tard, son fils, Pierre, — le troisième de la famille, né en 1888 — venait à son tour tenter sa chance sur la côte du Pacifique. Seul en terre étrangère, sans aucune connaissance de la langue, il eut la sagesse de suivre les avis du consul de France, Duchastel de Montrouge, et de son excellent secrétaire, Émile Chevalier, qui le mirent sur la bonne voie. Très vite il alla chercher sa promise du pays basque, Gracieuse Heguy, de Hasparren (Basses-Pyrénées), qui avait émigré presque en même temps que lui chez des tantes en Californie. Gracieuse est toujours demeurée la femme charmante du temps de sa jeunesse, mère au grand cœur, grand-mère de quatorze petits-enfants. En affaires, véritable alter ego de son mari. Un grand-oncle de Mme Pierre Paris faisait paître ses brebis sur l’emplacement de l’hôtel-de-ville actuel de Los Angeles. Ses descendants, jaloux de leur lignée de Basques, possèdent aujourd’hui quelque cent mille acres au sud-est de Laguna Beach.

À Vancouver, Pierre Paris, court et trapu, va réaliser l’ambition de sa vie. Au pays natal, il a fait un apprentissage de sept ans sous la discipline sévère d’un oncle cordonnier, original et excellent orthopédiste. La riche expérience