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acquise à cette école, il va la mettre au service des Canadiens. Pour lui, la chaussure ne doit pas être un soulier quelconque, mais un vrai support orthopédique épousant rigidement les contours du pied, exactement comme le vieux sabot basque. Cette formule honnête est tout le secret de sa réussite. Son entreprise de simple magasin-cordonnerie va devenir une véritable industrie du cuir, avec tannerie, manufacture, grand magasin, etc. La Compagnie Pierre Paris et Fils emploie plus de cent ouvriers et ses établissements représentent un capital de plus d’un million de dollars. Sa chaussure sur mesure jouit d’un renom mondial ; le prince d’Iran lui-même ne porte que les bottes de chasse de Pierre Paris.

Parmi les descendants de Pierre Paris, deux fils ont survécu. L’aîné, Georges, après avoir étudié à l’Université de la Colombie-Britannique et à Chicago, est orthopédiste et dirige la maison familiale. Il est père de cinq enfants. Son frère, Roger, aussi orthopédiste et homme d’affaires, en a neuf. En plus de ses devoirs professionnels, il s’occupe d’organisations religieuses, charitables et sportives. « Georges et moi, dit-il, nous passons notre temps à créer de la jeunesse,… puis à la former. »

Peti Paris, autre fils de l’ancêtre Bertrand, arrivé de Saint-Pée en 1909, s’essaya d’abord dans le commerce ; mais foncièrement terrien et audacieux comme son cousin, Jean-Pierre, il se dirigea lui aussi vers l’Alberta. Revenu après fortune faite, il réside à Vancouver, quand il ne voyage pas entre le Canada, la France, Cuba et le Mexique.

Le benjamin des frères Paris, Jean-Baptiste — le quatorzième — après ses études secondaires à Belloc (Basses-Pyrénées) et son cours de médecine orthopédique à l’École de médecine de Paris, vint au Canada en 1927 vers sa famille de Vancouver. Ses succès professionnels l’ont porté à la présidence de la « British Columbia Association of Chiropodists ». Il est bien connu même à l’extérieur pour la part généreuse qu’il a toujours prise au travail de groupement de la population francophone. Il a trois fils et une fille ; l’aîné, Robert, qui a fait sa philosophie à Stanislas de Montréal et sa médecine à Laval de Québec, est actuellement « senior resident » à l’hôpital Saint-Paul de Vancouver ; le second, Charles, un autre ancien de Laval, est vicaire à Saint-Joseph, paroisse de sa ville natale ; le troisième, Raymond, qui a étudié tour à tour au Collège de Vancouver, à Belloc (un an de philosophie) et à Nelson (C.-B.), prépare une carrière de droit ; la jeune fille, Andrée, a épousé un ingénieur civil.

Un dernier frère Paris, venu au Canada en 1913, attendit jusqu’à 1927 pour se marier, dans son pays d’origine, avec une Basquaise. Leur fils aîné, Armand Paris, ingénieur diplômé de l’Université de la Colombie-Britannique, s’occupe d’importants travaux du gouvernement près de Québec. Il a pris pour femme une Canadienne française et a commencé à édifier une famille.

Pierre Bonnet, marié à Gracie Paris, sœur des quatre frères, vint à Vancouver en 1925. Pelotari, fils de champion et champion lui-même, le genre de pelote qui se jouait sous ses yeux, le fit doucement sourire. Il battit aisément tous ceux qui voulurent se mesurer avec lui. Peu après, avec l’aide de Pierre Paris et d’autres hommes d’affaires, il popularisa la pelote basque à Vancouver. Pierre Bonnet est aujourd’hui contremaître chez son beau-frère et chef d’équipe dans la Légion de Marie de sa paroisse.


Jean-Pierre Haramboure, le géant des forêts

Un autre Basque, Jean-Pierre Haramboure, venu en 1910 de Bidart (Basses-Pyrénées), est une figure quasi légendaire. Mi-citadin, mais habitué au travail de la construction sous la conduite de son père, il s’engagea dans les camps forestiers. Cette importante industrie était alors, plus encore qu’aujourd’hui, entre les mains des Américains, dirigée avec une énergie et une hardiesse de conquérants. Ils discernèrent tout de suite en ce jeune émigré un homme d’action, d’intelligence supérieure, honnête et infatigable. De chef d’équipe il devint vite contremaître, gérant, puis directeur général de l’Elk River Lumber Co, qui employait de 400 à 600 travailleurs.

Haramboure aimait ses hommes et ses hommes lui étaient dévoués. Ayant peu de goût pour l’atmosphère des bureaux, il était presque toujours avec eux, partageant leurs joies et leurs dangers. Par exemple, si un communiste s’avisait de venir les endoctriner, ou exiger la nourriture et le logement comme un droit acquis, il pouvait s’attendre à être fraîchement reçu. Un politicien de parti soi-disant avancé, qui risqua le coup, fut prestement expulsé, avec la botte de Jean-Pierre au bas des reins.

Dans son beau livre The Unknown Country Bruce Hutchison met en scène « Pete » Haramboure aux prises avec un feu de forêt. Rien ne saurait donner une plus juste idée de ce géant des bois. L’incendie qui ravage son domaine, c’est naturellement un ennemi personnel, « une créature rusée, calculatrice, pleine de mauvais tours, se contentant parfois de raser le sol et prête à jaillir lorsqu’on tourne le dos. Nous l’appelons « Elle ».

« Elle a sa couronne, dit Pete Haramboure. Elle a en effet bondi au faîte des grands arbres. Chaque aiguille de sapin se gonfle et crève dans une petite bouffée de gaz. Elle se précipite d’un seul jet de flamme à travers le dôme de la forêt. À dix milles de distance, on peut entendre le grondement, semblable à celui d’un train franchissant un pont d’acier. Elle voyage à une vitesse de plus d’un mille à la minute, entraînant dans sa course de gros morceaux de bois embrasés qui vont s’abîmer au loin dans la mer.

« …Pete Haramboure a travaillé quatre jours et quatre nuits sans fermer l’œil. Il en est réduit à ne plus pouvoir parler, à ne plus comprendre ce que lui disent ses compagnons.