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freuse misère. Les colons n’étaient pas seulement dépourvus du plus élémentaire confort ; ils connurent les privations les plus dures et jusqu’à la faim. Ce fut dans ces circonstances que se manifesta l’action bienfaisante de la famille Didion. Elle assuma le rôle d’accueillir les nouveaux venus de France, épuisés par les fatigues du voyage et inquiets sur le sort qui les attendait. L’étroite maison de billots était en quelque sorte leur hôtellerie. Ils y campaient tant bien que mal, couchaient par terre au besoin et s’asseyaient à la table familiale dont le menu était plus ou moins abondant, selon le hasard des jours. Parfois il n’y avait presque rien à partager ; alors on partageait la disette. Mais l’accueil débordait toujours de la plus franche cordialité. Ceux que guettaient la tristesse et le découragement trouvaient dans cette demeure hospitalière les bonnes paroles capables de les remonter. Edmond Didion, commerçant-né, eut chez lui un petit magasin d’approvisionnements, dont le besoin se faisait grandement sentir ; mais l’argent était rare et il fallait vendre à crédit.

L’héroïque pionnier de la Rivière-Tortue devait mourir en 1934, à l’âge de 80 ans, sur la terre qu’il occupait depuis plus de quarante ans. Sa femme, décédée en 1940, vécut jusqu’à 85 ans. De leurs sept enfants, seule Marguerite se maria. Elle épousa Armand Granger d’Hennebont (Morbihan), qui fut tué à la guerre. Cette union n’a donné que deux enfants : Madeleine, morte il y a quelques années, et Fernand, lui aussi célibataire, qui occupe l’établissement du grand-père. Berthe, qui fit les campagnes des Dardanelles et de Salonique comme infirmière de la Croix-Rouge, Edmond, Marguerite et Marcel sont toujours vivants.

C’est par les neveux uniquement que se prolongera la descendance du chef Edmond Didion. Eugène Abraham et sa première femme, née Marie Médard, avaient deux jeunes enfants à leur arrivée et il leur en naissait un autre quelques mois après. Devenu veuf, Eugène Abraham épousa par la suite Hyacinthe Lecomte, dont il eut dix enfants. Sa sœur, Zénaïde, mariée à Emmanuel Béasse, ne fut pas moins prolifique : quatorze enfants, dont plusieurs ont fait souche à Sainte-Rose-du-Lac.

Olivier Lecomte quitta son village de l’Ille-et-Vilaine, où il remplissait les fonctions de cantonnier, pour venir au Manitoba avec sa femme et plusieurs enfants dont Jules était l’aîné. Cette famille illettrée a parfaitement réussi et s’est fortement enracinée à Sainte-Rose. Les plus âgés travaillèrent ici et là et tous s’établirent sur place. Nous venons de voir que l’une des filles, Hyacinthe, devint la seconde femme d’Eugène Abraham. Sa sœur, Marie, après avoir été au service du vicomte Jacques d’Aubigny, épousa Siméon Delveaux, appelé à une situation en vue dans le commerce local. Leur fils aîné, Joseph, est depuis nombre d’années secrétaire-trésorier des deux municipalités rurale et urbaine de Sainte-Rose : il a été récemment nommé officier rapporteur pour le district fédéral de Dauphin.

Angèle Delveaux, cousine de Siméon, venue en même temps que lui, fut successivement l’épouse d’André Buguet et de Louis Fouchard. Et voici un petit fait d’hier qui nous relie à la période lointaine des débuts : il n’y a pas longtemps, un mariage célébré à Sainte-Rose unissait une petite-fille de Siméon Delveaux (Denise, fille de Joseph) avec un petit-fils d’Angèle et de Louis Fouchard (André, fils d’Auguste Pineau et de Léonie Fouchard).

Charles Jacob, d’Egrand (Allier), fut un autre des pionniers français qui tinrent bon. Peu de temps après son arrivée, il épousa une très jolie fille de l’endroit, Joséphine Ritchot, d’une famille métisse de Saint-Norbert venue avec le premier groupe de colons. Jacob joua un rôle important, dans les débuts, à titre de factotum : avocat de hameau, secrétaire de municipalité, instituteur, etc. Il avait fait son service militaire dans les chasseurs ou les hussards, avec un grade de sous-officier. En 1914, il s’enrôla dans l’armée canadienne avec trois de ses fils et suivit son unité en France. S’étant trouvé, un jour, dans le voisinage de son ancien régiment de cavalerie, les sous-officiers le fêtèrent dans leur mess improvisé, à titre d’ancien. Les Jacob eurent cinq fils et quatre filles, parmi lesquels un prêtre et une religieuse enseignante. Le père mourut en 1936 et la mère lui survécut de près de vingt ans.


Le fondateur religieux, le P. Eugène Lecoq

Durant toute la période héroïque des débuts, les prêtres de Sainte-Rose furent des Oblats français. D’abord, le P. Jules Decorby, du diocèse de Viviers, puis le P. Philippe Valès, de Nîmes. Mais le vrai fondateur religieux de la colonie fut le P. Eugène Lecoq, originaire du Mans. Pendant les quatorze années qu’il y passa, de 1895 à 1909, ce grand animateur déploya une extraordinaire activité. Il construisit église, presbytère, école, couvent, maniant lui-même la hache et le marteau comme le plus habile des ouvriers. Son champ d’action embrassait une immense étendue autour du poste de commande où se trouvait sa résidence. Il fit de nombreux voyages en France, d’où il revenait avec des fonds pour ses multiples besoins et de nouveaux colons dont il surveillait l’établissement.

Un jour qu’il tendait la main auprès d’une riche Parisienne, celle-ci consentit à délier les cordons de sa bourse sur la promesse que la paroisse du missionnaire serait placée sous le vocable de sa patronne, sainte Amélie. Sainte-Rose avait déjà son nom, qui remontait à l’arrivée des premiers Oblats, et il était impossible de le lui enlever. Mais à quelque distance au sud-est, un centre nouveau allait naître, qui s’appela Sainte-Amélie. On ne connaît pas le nom de cette bienfaitrice qui, comme beaucoup d’autres, voulut sans doute garder l’anonymat. Grâce à ces quêtes fructueuses, Sainte-Rose et sa région sont redevables à la générosité française non seulement d’un fort groupe de colons, mais encore d’un appréciable appui financier.

Avant ce dynamique curé, il n’y avait pas encore d’école à Sainte-Rose. Une cinquantaine