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de garçons et de fillettes grandissaient sans recevoir d’autre instruction que des bribes de catéchisme qui leur étaient distribuées par quelques dames bénévoles. Le premier enseignement fut donné par Mme Athanasius Tucker, mère de la nombreuse famille de ce nom. Elle groupait les enfants de la petite colonie dans la première église bâtie en troncs d’arbres, sur l’emplacement du cimetière actuel. Par la suite, on vit s’élever sur le terrain de la mission une autre église et une école. Les filles de Mme Tucker, Agatha (devenue plus tard Mme Th. Fitzmaurice) et Francis (Mme D. MacCarthy), en furent les premières institutrices, aidées parfois par leur sœur, Cecily, qui devait épouser plus tard Albert Vaison, un enfant du Midi. Puis le P. Lecoq fit construire un couvent. Il était à peine achevé lorsque quatre religieuses de Notre-Dame-des-Missions (Lyon) vinrent en prendre possession en 1900 et l’école leur fut confiée.

Edmond Didion avait rencontré à Winnipeg un certain François Bernard, qu’il avait engagé comme professeur privé de ses enfants. Qui était cet homme et d’où venait-il ? Didion inclinait à croire que c’était un Belge et probablement un ex-chanoine de Tournai, économe de l’évêché, disparu à la suite de spéculations ruineuses pour le diocèse. Il emporta son secret dans la tombe. Mais le sud de la paroisse, où se trouvaient plus particulièrement groupés les Français, eut aussi bientôt son école. Elle porta d’abord le nom de… Crooked River, ce qui pouvait passer pour un retour nostalgique à la rivière Tortueuse ou Tortue ; mais un sursaut de fierté patriotique, durant la première Grande Guerre, y substitua le nom de Verdun. La première institutrice de cette école fut une autre fille de Mme Tucker, Hilda (devenue Mme Pierre Saurette). Quand les religieuses furent établies à Sainte-Rose, elles prirent charge aussi de cette école où deux d’entre elles séjournaient du lundi au vendredi. L’une des dernières écoles fondées dans les limites de la paroisse, De Lamennais, eut pour premier instituteur Charles Jacob.


Du ranch et du magasin à la Trappe de Saint-Norbert

Le vicomte Jacques d’Aubigny se montra, pendant la période des débuts, l’un des plus actifs de la colonie. Il fit l’élevage du bétail sur un ranch situé à trois milles de l’église. Au village qui commençait à se dessiner, il ouvrit un « magasin général » tenu par Charles Jacob. (Les bâtiments subsistent encore, quoique transformés, et sont occupés par M. Jean Molgat.) Il organisa une fromagerie, transformée par la suite en beurrerie. Mais après cinq années de cette vie laborieuse et apparemment vouée au succès, Jacques d’Aubigny renonça à tous ses projets de propriétaire terrien, de commerçant et d’industriel agricole pour endosser la bure de moine à la Trappe de Saint-Norbert. Ce fut, dit-on, à la fin d’un joyeux souper offert à ses amis qu’il annonça cette étonnante nouvelle. Et ce n’était pas une plaisanterie, comme on l’avait cru tout d’abord.

Les embarras financiers ne furent pour rien dans cette décision soudaine. Le jeune Normand paya de ses propres deniers l’église conventuelle du nouveau monastère. Sa paroisse de Sainte-Rose ne fut pas oubliée. Elle lui devait déjà sa première cloche. Celle-ci prit la route d’une lointaine mission et fut remplacée par un carillon de quatre cloches. L’archevêque de Saint-Boniface vint les bénir et, à cette occasion, conféra les ordres mineurs au frère Marie-Antoine. Une allocution de ce dernier émut l’auditoire jusqu’aux larmes.

L’ancien éleveur-marchand ne devait plus connaître que la vie de prière et de recueillement dans la maison qu’il avait librement choisie. Entre les deux guerres, dans ses fonctions de père hôtelier, il réservait un accueil plein de délicatesse aux visiteurs et aux retraitants de la Trappe ; mais très rares étaient ceux qui pouvaient faire le lien avec le jeune colon de l’ancienne Rivière-Tortue. Par esprit d’humilité, le religieux ne voulut jamais dépasser dans les ordres le sous-diaconat. Une paroisse de la vallée de la rivière Rouge, non loin de là, porte son nom. Le frère Marie-Antoine vit toujours dans la paix de son cloître, l’un des rares survivants des pionniers de Sainte-Rose-du-Lac, dernier des Trappistes originaires de France[1].


Nouvel afflux de colons

Avec les premières années du siècle, la population de Sainte-Rose va grossir, grâce à l’essor général pris par l’immigration. C’est alors que vinrent, entre autres, les deux frères Fouchard, le baron Octave de la Ru du Can, le vicomte de Lecochère, Achille de Montbel, le comte Yves de la Fonchais, François Le Gal, Augustin Pineau.

Louis Fouchard, de Clamecy (Nièvre), arriva dès 1899 et fit de la culture avant de passer au commerce de la quincaillerie. Deux ans plus tard, sa mère et son frère venaient le rejoindre. La veuve Fouchard, née Antoinette Thévenet, devait décéder à Sainte-Rose en 1912. Elle était sœur du général de division Frédéric Thévenet, commandeur de la Légion d’honneur, et de Louis Thévenet, avocat, chevalier de la Légion d’honneur.

Le sergent d’infanterie de marine Henri Fouchard, alors âgé de 35 ans, comptait de longs états de service à Brest et aux colonies, en particulier à Saint-Louis du Sénégal. Ayant un penchant marqué pour la musique, il l’avait étudiée à fond sous des chefs excellents et avait fait partie de la musique des Tirailleurs sénégalais. Cette formation exceptionnelle devait influencer toute sa vie. À Minnedosa, il réorganisa la fanfare de l’endroit et la dirigea tant qu’il fut là. De retour à Sainte-Rose, il y trouva une fanfare naissante qui marchait tant bien que mal, sous son premier chef, Isidore Pinvidic, de Montauban (Ille-et-Vilaine). Il en prit la direction et communiqua le feu sacré à ses hommes. Les répétitions avaient lieu deux fois la semaine et quelques uns venaient de quatre à cinq milles à pied. Durant plusieurs années,

  1. Le frère Marie-Antoine est décédé depuis l’impression.