Page:Frémont - Les Français dans l'Ouest canadien, 1959.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

travers bois et marais, afin de répondre à l’appel de ceux qui réclamaient son secours. Il ne quittait son malade que quand il le voyait sauvé. Mieux encore, il en prenait chez lui et leur procurait tous les soins voulus. Comme rétribution, il ne demandait qu’un merci reconnaissant. Son humilité égalait son dévouement : jamais il ne voulut qu’on parlât de lui. Les services rendus par Ernest Béasse comme juge de paix furent aussi très appréciés. Bon chrétien et ami des œuvres paroissiales, il fit venir de Paris une magnifique statue de Notre-Dame-des-Victoires, qui orne encore le maître-autel. Dans ses courses à travers les campagnes, que d’enfants il baptisa, que de conseils il donna aux moribonds ! Retourné en France en 1914, Ernest Béasse y mourut à la fin de la première Grande Guerre.

Eugène Assailly, né à Martaisé (Vienne), venu avec ses parents en 1895, se souvient aussi des débuts difficiles de Laurier et des voyages périlleux à Neepawa pour se procurer des provisions. Grâce à son travail intelligent et ardu, il réussit à vendre à bon prix son homestead, ce qui lui permit de monter un « magasin général ». Eugène Assailly, décédé en 1955, avait épousé une Canadienne française qui lui donna douze enfants.

Jules Duruisseau, de Charneau (Savoie), et sa femme, Léontine Hébrard, de Montpellier, ont élevé quinze enfants à Laurier. Cinq y sont installés ; les dix autres ont suivi leurs parents à Vancouver pendant la dernière guerre, Le père y est mort en 1950.

Jean Callarec et sa femme, Marie Galet, après avoir peiné durement à défricher leur terre en « bois debout », vivent aujourd’hui retirés au village. Leurs six enfants sont établis les uns sur place, les autres ailleurs au Manitoba.

Jean-Marie Dupré, né à Écotay-l’Olme (Loire), arriva en 1897 avec sa femme et quatre enfants en bas âge. D’autres sont venus grossir la famille. Leur courage et leur ténacité au travail les ont conduits à une belle aisance. Tous sont maintenant installés à Laurier et ont contribué au développement de la localité.

Le Parisien Charles Jolivet connut, lui aussi, les dures épreuves des premiers colons. Venu en 1904, il retourna dix ans plus tard occuper son rang dans l’armée et revint avec la Croix de guerre. Comme on lui demandait s’il préférait rester en France ou repartir pour le Canada, il répondit en toute franchise : « Il fait bon vivre au Canada. »

Victor Pages, né à Saint-Paul-de-Tartas (Haute-Loire), et venu au Manitoba en 1906, passa quelques années à Saint-Claude avant de s’installer définitivement à Laurier. Ses sept enfants sont aujourd’hui dispersés à travers le Canada. Les époux Pages désireraient bien retourner en France, mais pour une simple visite, car ils ne songent nullement à quitter leur pays d’adoption.

Né à Rodez (Aveyron), Auguste Saquet vint à Laurier en 1907, avec sa femme et deux enfants. Il réside encore sur la terre qu’il acheta et ne connut pas les difficultés des premiers colons. Le passage du chemin de fer avait beaucoup amélioré la situation. Grâce à leur travail et à leur sens de l’économie, les époux Saquet et leurs enfants sont parvenus à une certaine aisance. Léopold Roger, frère de Mme Auguste Saquet, né à Saint-Affrique (Aveyron), et venu en même temps au Manitoba, demeura vingt-cinq ans à Saint-Boniface, occupé à divers travaux, avant d’aller vivre à Laurier. C’est un homme qui aime l’aventure et le changement. Il a traversé plusieurs fois en France, annonçant à chaque départ qu’il ne reviendrait pas au Canada ; mais à la grande stupéfaction de tous, on le voyait revenir sans tambour ni trompette. À son dernier voyage, âgé de 84 ans, il manifestait l’intention d’aller revoir son pays natal dans dix autres années, laissant entendre que cette fois, il y resterait peut-être définitivement…

Étienne Dheilly, de Puchevillers (Somme), n’éprouve pas la même nostalgie chronique. Venu à Laurier avec sa famille en 1909, et bien que le succès ait longtemps tardé à lui sourire, il affirme sa volonté de demeurer au Canada, où tous ses enfants réussissent.

Alain Le Bras, originaire de Saint-Sauveur (Finistère), venu en 1908 avec son beau-frère, François Callarec, travailla pour Émile Abraham et le baron de la Ru du Can. Sa femme, née Françoise Callarec, le rejoignit quinze mois plus tard. Après de multiples déboires, comme en connurent tous les pionniers, il acheta des terres successivement aux alentours de Sainte-Amélie, Sainte-Rose, Laurier. Lorsqu’il mourut en 1947, Alain Le Bras jouissait d’une honnête aisance. Son fils, Joseph, a recueilli sa succession.

Joseph Molgat est l’un de ces anciens étudiants que nous avons vu interrompre leur cours de lettres à la Sorbonne pour venir au Manitoba. À Laurier depuis 1936, cet homme très actif et bon administrateur a pleinement réussi. Les six enfants que lui a donnés son épouse, née Berthe Sabatier, venue au Canada avec la famille de Montbel, marchent sur ses traces.

Laurier possède aujourd’hui 115 familles catholiques jouissant presque toutes d’une honnête aisance. Français, Canadiens français, Belges sont étroitement liés par un vivant esprit paroissial.


Un curieux roman qui fut écrit à Sainte-Rose

Un très curieux récit — La Pointe-aux-Rats — publié à Paris, en 1907, par G. Forestier, conte les pitoyables mésaventures d’un groupe de colons français qui paraît bien être l’un de ceux établis, à la fin de l’autre siècle, dans les parages de Sainte-Rose-du-Lac. Ils végètent misérablement et se découragent, vite aigris par toutes les déceptions et les contrariétés qui sont leur triste lot. Mais ce sont tous des bourgeois — anciens commerçants, officiers, employés — sans aucune préparation à cette existence très rude. Les uns refusent de travailler de leurs mains et de se mêler aux paysans ; les autres sombrent dans l’ivrognerie ; quelques-uns réussissent à fuir le Canada et à gagner l’Algérie, objet de leur rêve. Ils y cueillent