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Claude a tranché la question de façon très simple et très diplomatique. Faisant d’une pierre deux coups, il a décidé que la fête patronale de la paroisse serait transportée du 5 juin au 14 juillet. Depuis lors, la double célébration a lieu tous les ans avec une ferveur qui n’a pas connu de déclin. Dans la matinée, grand-messe chantée pour les Français morts au champ d’honneur ; le soir, banquet et feu d’artifice.


Une élite intellectuelle qui a rayonné au dehors

La population de Saint-Claude compta une élite qui lui fut un enrichissement et qui rayonna au dehors. La famille de Moissac, avec ses huit enfants, a étendu ses ramifications dans les quatre provinces de l’Ouest. Elle venait de Poitiers où le père, Henri d’Hillaire de Moissac, avait été pendant trente-deux ans contrôleur des contributions indirectes. Nous retrouverons plus loin le fils aîné, Henri-Dieudonné, à Saint-Norbert, ainsi que Louis et Hilaire, en Saskatchewan, avec la famille de Bussac, qui ne passa que peu d’années à Saint-Claude. Marie de Moissac épousera Philippe de Rocquigny, propriétaire à Haywood, et sa sœur, Élisabeth, entrera chez les Sœurs Grises. Jacques s’établira aussi à Haywood. Jean et Charles feront la guerre. Mme de Moissac, née Adèle Garnier de Boisgrollier, décéda à Saint-Claude en 1911. Le chef de la famille mourut chez son fils, Jacques, à Haywood, en 1929, laissant 45 petits-enfants et deux arrière-petits-enfants. Il avait été longtemps commissaire d’école et, pendant la première guerre, il s’occupa des familles des combattants.

Charles Arbez, du Jura, qui avait pris un homestead à Saint-Claude dès 1893, s’en éloigna quelques années et revint en 1904. Commerçant, juge de paix, conseiller et maire de la municipalité de Grey, c’était un financier expert, qui aida beaucoup cette dernière à sortir de l’impasse créée par la dépression générale.

Joseph du Bourg, de Lyon, passa huit ans à Saint-Daniel et y épousa une Canadienne française, avant de s’établir à Saint-Claude, où il vit encore. De ses cinq enfants, quatre sont demeurés dans la province.

Jean Martin, arrivé jeune avec une solide formation intellectuelle, collabora à La Liberté, de Winnipeg, sous le pseudonyme de « Saint-Claude ». Il écrivit des articles très au point sur la question scolaire.


Les Saint-Claudiens et la première grande guerre

En 1914, les Français de Saint-Claude se signalèrent par le nombre de ceux qui répondirent à l’appel aux armes. L’un d’eux, Jean David, avait dépassé la cinquantaine. Plusieurs ne devaient pas revoir leur patrie d’adoption manitobaine. Les premières victimes de la guerre, dans la province, furent Jean Maguin. de Haywood, et Fernand Théo, de Saint-Claude.

Eugène Kern, de Saint-Léon, — autre collaborateur de La Liberté sous le nom de plume de « Lorrain » — fut tué au nord de Mesnil-les-Hurlus en 1915. « À l’amour de la France, écrivait le journal de Winnipeg, il avait joint un profond amour du Canada français parce qu’il y voyait un prolongement du génie français, une continuation de la patrie. M. Eugène Kern portait un intérêt tout spécial, et qui dénotait chez lui une vive et lucide intelligence, à tous nos problèmes nationaux. Demeuré Français jusqu’aux moelles, il avait su devenir un Canadien dans le sens le plus large et le plus généreux de ce terme. »

Eugène Kern était l’aîné de trois fils d’une mère veuve et âgée. Ses deux frères, partis avec lui, furent blessés, l’un très grièvement.

Ceux de Notre-Dame-de-Lourdes se distinguèrent aussi. Le Dr Galliot rapporta de Salonique la croix de chevalier de la Légion d’honneur. Robert Joberty, après avoir servi dans l’aviation, voulut y revenir plus tard dans des postes administratifs. Lors de la seconde Grande Guerre, sa fille, Marcelle, joindra, à dix-sept ans, l’aviation des Forces libres à Alger. Fiancée à un pilote des États-Unis, elle fera avec lui une envolée fatale. L’Américain sera tué. On sortira de l’appareil le corps de la jeune fille affreusement mutilé ; mais, par un miracle de la science, elle peut aujourd’hui se suffire à elle-même comme employée de bureau.


Un prix Concourt qui à vécu à Saint-Claude

Un autre héros de la guerre, plus connu celui-là, fut Maurice Constantin-Weyer, fameux par ses ouvrages sur l’Ouest canadien. C’est à Saint-Claude qu’il vécut de 1904 à 1914. Comme rancher et agriculteur, il se classe dans la catégorie des amateurs et des fantaisistes, dont nous avons rencontré plusieurs spécimens ; mais l’auteur d’Un homme se penche sur son passé ne perdit pas son temps au Manitoba, puisqu’il en rapporta des matériaux capables d’alimenter toute une carrière d’écrivain.

Les livres de Constantin-Weyer sont sans doute de valeur très inégale. Quand il aborde l’histoire du pays, il la romance au point de la défigurer totalement ; mais comme peintre de la nature et de la vie de l’Ouest, on peut l’admirer sans réserve. C’est la campagne de Saint-Claude qu’il décrit presque toujours, sans jamais en révéler le nom. De quelques coups de plume, il croque un coin de paysage et le place littéralement sous nos yeux. La faune et la flore de l’Ouest n’ont pas de secret pour lui. Il nous associe à la vie de la forêt, de la prairie, du lac peuplés de bêtes et de cris. Il est inimitable dans la notation réaliste des minces événements journaliers du monde des Métis et des colons.

Collaborant à L’Action française, de Paris l’auteur de Manitoba dut y retrouver avec plaisir le sympathique André Feydel, de type bien différent, lui aussi un ancien de Saint-Claude. Dans les premières années du siècle, ce jeune journaliste était attaché, avec son père, à L’Espérance du Peuple, vénérable quotidien monarchiste de Nantes, qui avait dénoncé le mou-