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Page:Frémont - Les Français dans l'Ouest canadien, 1959.djvu/62

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vement d’émigration vers le Canada, sous prétexte qu’il privait les propriétaires terriens de meilleure classe de fermiers. Succombant lui-même au courant qu’il avait pour mission de combattre, il vint tenter sa chance au pays, mais ne fit guère que passer à Saint-Claude. Peu après, l’on vit sa signature dans L’Avenir de l’Ouest, une petite feuille éphémère de Winnipeg. Pour donner une idée du talent journalistique de Feydel, disparu peu avant la seconde Grande Guerre, il suffira de dire que c’est à lui que le maître Charles Maurras confiait au besoin l’intérim de sa fameuse rubrique quotidienne dans L’Action française.

Un nom inséparable de Saint-Claude est celui du pasteur qui veilla sur le troupeau pendant 45 ans. L’abbé Joseph Radaz — le Père Joseph, comme on l’appelait — était né dans le Jura en 1872. Venu au Manitoba avec sa famille à l’âge de 18 ans, il entra bientôt chez les Chanoines réguliers et fut ordonné prêtre en 1898. Neuf ans plus tard, il devenait curé de Saint-Claude pour toujours. Bougon, têtu, autoritaire, il était craint et adoré de ses paroissiens. Le P. Joseph mourut sur la brèche en 1952, à 80 ans.

Un autre Jurassien très en vue fut le pionnier Louis Lacroix, venu en 1893 — homme très actif dans tous les domaines, agriculteur, maître de poste, président perpétuel de la Légion canadienne pour la région — dont la carrière s’acheva à 86 ans (1956). De ses sept enfants, deux filles et trois fils sont fixés à Saint-Claude.


Haywood et ses Savoyards

En même temps que Notre-Dame-de-Lourdes et Saint-Claude s’affermissaient et progressaient, un autre centre moins ambitieux du voisinage, Haywood, offrait aussi son cachet particulier. Il devait sa naissance à un petit noyau de Savoyards et de Bretons. Ses fondateurs furent Maurice Fay et Jean-Pierre Picton, tous deux de Jarrier (Savoie), François Gautron et Eugène Bazin, de l’Ille-et-Vilaine. Fay retourna passer deux ans en France et revint en 1904 avec d’autres Savoyards : Alexis et Marie-Martin Dequier, Alexandre Prévost, J. de Grouchy, Amédée Picton, Thomas Gagnier. Il y en eut aussi du Nord, comme Abel, Léon et Aline Eliet, qui venaient de Fourmies. Plus tard, arrivèrent Philippe de Rocquigny du Fayol : Eugène Hurion, de Paris ; Tissot, Florian Montés, de l’Auvergne ; Hainault, de la Touraine : le marquis Henri de Jocas ; Joseph Eliotte ; les deux frères Jacquot, de Nantes, qui faisaient d’excellente pâtisserie française ; Roilin et Jean Maguin, qui furent successivement maîtres de poste.

Le nom de Haywood fut choisi pour honorer un très généreux bienfaiteur de langue anglaise. L’abbé Maurice Pierquin vint, en 1909, de Saint-Daniel, célébrer la première messe dans la nouvelle église. Deux ans plus tard, il s’y installait à titre de curé fondateur. La paroisse put bientôt s’enorgueillir de posséder le premier cercle de Jeunesse catholique du Manitoba.

Les deux premiers instituteurs, qui exercèrent leurs fonctions avant 1914, MM. G. Brunet et Camille Fournier, gardent le souvenir d’un coin de terre où la vie offrait un aspect particulièrement agréable. Il régnait une grande cordialité entre tous ces Français, quelle que fût leur extraction. Riches et pauvres étaient sur le même pied, jouissant d’un crédit égal. Camille Fournier, ancien professeur à Saint-Boniface, parle encore de l’agrément qu’il éprouva à fréquenter ce groupe de gens instruits et raffinés, qui recevaient livres, revues et journaux de France. Il fut surtout impressionné par la haute déférence que montraient les parents au jeune maître chargé de l’éducation de leurs enfants.

À la suite de nombreux départs, cette atmosphère des premiers temps se modifia quelque peu. Hainault ne persista pas. Florian Montès, Jean-Louis Picton, Alexandre Prévost, Eugène Hurion et quelques autres délaissèrent Haywood pour aller ouvrir la colonie de Saint-Front, en Saskatchewan. Le marquis de Jocas gagnera l’Est et les Eliet abandonneront la culture pour l’élevage des renards argentés à Otterburne. Jean Maguin, Joseph Eliotte et Charles Jacquot seront tués à la guerre. Mais d’autres sont venus prendre la place des partants. La paroisse de Haywood, en dépit de ces pertes, a survécu et prospéré.


Un mot sur Saint-Lupicin

Il nous reste à dire un mot de Saint-Lupicin, le dernier tronçon à se séparer de la paroisse mère de Notre-Dame-de-Lourdes. L’un des premiers défricheurs, Louis Bourrier celui que tout le monde appelait le « père Bourrier » — vint avec sa famille de la Lozère en 1891, à l’âge de 60 ans. Il y eut ensuite Bahuaud, Pigner et Lemeau, des Deux-Sèvres ; Charles Colonval et Taillefer, de la Savoie. En 1904, trois jeunes gens de Saint-Étienne-de-Montluc (Loire-Atlantique) prirent des homesteads à Saint-Lupicin : Pierre Rincé, Étienne Soulodre et Joseph Massé.

L’ancêtre Bourrier vécut jusqu’en 1917 et dépassa, malgré tout, son quart de siècle à Saint-Lupicin. Cinq ans avant sa mort, il fit venir un gendre, Joseph Chaleil, avec sa femme et ses neuf enfants. Lui aussi n’était plus jeune, ayant atteint le milieu de la soixantaine. Il quitta de bonne heure Saint-Lupicin pour La Broquerie et passa ses quinze dernières années à Saint-Boniface.

Étienne Soulodre, après avoir fait la guerre, épousa Agnès Bourrier. Il demeura très longtemps sur sa ferme et vint mourir à Saint-Boniface, laissant une belle famille de dix enfants dont aucun n’a embrassé l’agriculture. Une fille est technicienne de laboratoire à l’Hôpital de Saint-Boniface, un fils chez les Oblats, un autre dans la banque, un troisième gérant de cinéma.

En 1921, Marc Moreau, fils d’un des premiers colons de Notre-Dame-de-Lourdes, vint s’établir, avec sa famille, sur une demi-section de terre à Saint-Lupicin. Il devait occuper