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France et fut l’un des Français du Canada qui rapportèrent le plus de décorations. Nous le retrouvons ensuite pendant dix-huit ans comme préposé à l’entretien de l’École Provencher.

Les Pinvidic étaient venus de Montauban (Ille-et-Vilaine) dans les dernières années du siècle précédent. Le vieux père, né à Plouescat (Finistère), est mort, avec sa femme, au Manitoba. Les Pinvidic riaient volontiers de leur nom bien breton qui veut dire « riche ». À défaut de fortune, ils se distinguaient par leur honnêteté et leur amabilité. L’un des fils, Alexis, avait épousé une Canadienne française, Clara Lachance, de Saint-Eustache. Les parents de la jeune fille étaient vivement opposés au mariage, ne cessant de lui dire : « Tu seras malheureuse… Les Français y battent leur femmes !… » Et ils interdirent à Alexis l’entrée de leur demeure. Dieu merci, il se trouva une âme compatissante pour faciliter les choses aux amoureux. Ce fut la supérieure française du couvent de Notre-Dame-des-Missions, qui leur permit de se rencontrer dans son parloir… Ils se marièrent et vécurent très heureux. Alexis Pinvidic est mort à Saint-Boniface. Deux de ses fils sont aux États-Unis et un troisième en Saskatchewan. Ses deux frères, Raphaël et Isidore, également d’humeur voyageuse, sont allés finir leurs jours le premier à Vancouver et le second en Saskatchewan.

La famille André, venue des Côtes-du-Nord, remonte aussi à l’époque héroïque d’avant 1900. En 1909, deux des fils, Jean-Baptiste et Mathurin, tenaient côte à côte, à l’angle des rues Langevin et de la Cathédrale, l’un boucherie et l’autre épicerie. François fut concierge de l’École Provencher et, plus tard, bedeau à la cathédrale. Les trois frères ont élevé des familles assez nombreuses. L’une des filles a épousé un Arnal, de Fannystelle.


Du Manitoba au Chili, aller et retour

Nous aurions pu inscrire en tête des pionniers de Saint-Boniface les noms de Modéré Bruneteau et de Jean-Marie Gourbil, mais ces pionniers tranchèrent un peu sur les autres. Né à Poitiers, Bruneteau était venu pour la première fois dès 1887, à l’âge de dix-neuf ans. Il retourna en France cinq ou six ans plus tard pour son service militaire. Entre temps, Jean-Marie Gourbil, de Conquereuil (Loire-Atlantique), arrivait au Manitoba en 1893. Après un stage à Saint-Boniface comme portier de l’archevêché et un autre à Lorette comme instituteur, il prenait assez vite la route du Chili. Bruneteau, qui venait de se marier, alla l’y rejoindre avec sa femme et sa sœur, que devait épouser Gourbil. Mais celui-ci resta seul en Amérique du Sud ; le reste de la famille opta définitivement pour le Manitoba. Elle vint s’établir à Sainte-Geneviève et devait vivre surtout à Saint-Boniface, où le père fut longtemps concierge à l’École Provencher et jouissait d’un solide renom de rebouteur. Ses trois fils, Jean, Modéré et Édouard, acquirent une certaine célébrité comme joueurs de hockey. Modéré Bruneteau, le père, mourut en 1939. À son second voyage, il avait amené ses parents, son beau-frère Louis Bouchet et sa femme née Virginie Bruneteau. Leur fille, Virginie, épousa l’ingénieur Mullon, tué à la guerre. Son frère, Louis, fut typographe au Soleil de l’Ouest, au Manitoba et à La Liberté. Pierre Frossais, dont la famille vint dans le même temps, est inspecteur des Caisses populaires du Manitoba.

Édouard Gourbil a eu une vie mouvementée. Né au Chili à la fin du siècle dernier, à cinq ans il quitte ce pays pour l’Ouest canadien. Un peu plus tard, avec sa mère et ses grands-parents, il passe quatre années en France. Ses études commencées à Saint-Boniface, il les poursuivra à Couhé-Verac (Vienne), pour les achever, à son retour, au premier endroit. Voici la guerre. Édouard, qui a dix-huit ans en 1915, veut s’engager dans l’armée française. Refus catégorique : on le juge trop frêle et trop jeune pour porter les armes. Le colonel d’un régiment canadien, devant qui il se présente, se moque de lui et le renvoie à la maison. C’est que l’aspirant-soldat mesure cinq pieds trois pouces et ne pèse que 98 livres !… Néanmoins, un lieutenant recruteur le conduit à un médecin militaire plus sympathique. Ce dernier l’accepte, à la condition qu’il fera beaucoup, beaucoup d’exercice, afin de grandir, de se développer et d’acquérir du poids. C’est à quoi il va s’appliquer consciencieusement. Affecté au célèbre 22e, Édouard Gourbil participe à tous les combats des deux dernières années de la guerre qui ont rendu fameux ce régiment canadien-français : Vimy, Passchendaele, Amiens, Arras, Cambrai, etc. Il séjourne en Allemagne avec l’armée d’occupation. À vingt-deux ans, de retour à Saint-Boniface, le petit volontaire de 1915 mesurait cinq pieds huit pouces et demi et pesait 165 livres. Il avait suivi à la lettre l’ordonnance du médecin… Et au cours de ces longs mois sous la mitraille, il n’avait connu qu’une légère blessure à l’épaule.

Depuis ce temps, Édouard Gourbil appartient à la brigade des pompiers de Saint-Boniface et s’est élevé au grade de sous-chef. Ses deux enfants suivent la tradition de l’esprit d’aventure du père et du grand-père. Carmen, devenue la femme du pilote instructeur alsacien Roger Zwickel, l’a suivi en Algérie et au Maroc. Ils habitent maintenant à Saint-Boniface. Félix a fait, à l’Université du Manitoba et à celle de Montréal, de brillantes études qui devaient le conduire au doctorat en philosophie, mais il les a interrompues pour répondre à l’appel du Grand Nord et entrer au service de l’État sur la ligne D.E.W. (réseau de défense par le radar).


Dans le monde de l’Église et de l’enseignement

Dans le monde ecclésiastique, un jeune prêtre de belle culture, éloquent et musicien, l’abbé Molurier, fut quelque temps vicaire à la