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Chapitre XIV


Les grands pionniers de Saint-Boniface et de Winnipeg : François Saraillon, Georges Vendôme, le « Père Cazes » — Du Manitoba au Chili, aller et retour — Dans le monde de l’Église et de l’enseignement — L’aristocratie de l’immeuble et de la finance — Cuisiniers et restaurateurs — Autres Français de Winnipeg — Revenons à Saint-Boniface — Une profusion de Lyonnais — Le chapitre des jardiniers — Quelques types légendaires — La part des Angoumois — Et d’autres venus d’un peu partout — Le premier constructeur d’un avion dans l’Ouest — N’oublions pas les Belges — Un coup grave porté à la colonie — Un rescapé de la tourmente : le « boy doré » du Palais législatif de Winnipeg


Les grands pionniers de Saint-Boniface et de Winnipeg : François Saraillon, Georges Vendôme, le « Père Cazes »

Après cette incursion dans le monde de la musique, de la presse et du théâtre, essayons maintenant d’évoquer les autres figures principales de cette période d’avant-guerre, la plus brillante et la plus pittoresque dans l’histoire des Français de Saint-Boniface et de Winnipeg

Commençons par les pionniers. C’est en 1890 qu’arrivèrent les Saraillon. Lui, enfant de Marseille ; sa femme, de Lyon. François Saraillon était d’une force herculéenne ; il transportait des fardeaux énormes et jusqu’à des rails de chemin de fer. Après avoir travaillé toute sa vie à la construction des voies du Pacifique Canadien dans l’Ouest, il est mort en 1938, laissant cinq fils et une fille qui ont tous fait souche au pays.

L’original et sympathique Georges Vendôme apparut vers le même temps. Il s’appelait en réalité Raimbaud ; mais comme les Anglais prononçaient Rainbow (arc-en-ciel), il crut bon d’adopter le nom de sa ville natale, Vendôme (Loir-et-Cher). Tour à tour brocanteur, photographe, fabricant de chocolat, libraire-horloger, expert minéralogiste, il eut un laboratoire d’essai à Winnipeg. Ses connaissances étendues donnaient à sa conversation un charme particulier. Les époux Vendôme se montrèrent toujours hospitaliers et de bon conseil pour les compatriotes nouvellement arrivés. Lors d’un voyage en France, ils amenèrent deux jeunes neveux, Pierre et Abel Raimbaud, nés à La Chapelle — Vendômoise (Loir-et-Cher), qu’ils élevèrent comme leurs fils.

Abel est aujourd’hui agriculteur à Redvers, en Saskatchewan. Pierre, après avoir fait son service militaire en France, a épousé Julienne Hermarie, venue du Nord avec sa famille. Premier secrétaire du Cercle Ouvrier de Saint-Boniface, il prend un vif intérêt à toutes les œuvres sociales et patriotiques. Entré comme simple employé à la Cusson Lumber Company, il en est devenu le propriétaire-gérant et dirige l’entreprise aidé de ses deux fils. C’est un homme d’affaires en vue de Saint-Boniface, dont les avis sont écoutés dans tous les milieux. Le gouvernement l’a choisi comme l’un des deux membres de la « Commission municipale et d’utilité publique », organisme provincial chargé de l’étude des budgets des municipalités et commissions scolaires en vue de projets extraordinaires impliquant certains problèmes financiers.

Raphaël Cazes — celui que tout le monde appelait le « Père Cazes » — vint des environs de Perpignan, en 1894, avec sa femme, quatre garçons et trois filles. Il était entrepreneur en bâtiments à l’Ille-sur-Têt et intendant chez les Carmélites de Vinça (Pyrénées-Orientales). Trois autres filles devaient naître au pays. Le Père Cazes prit homestead à Lewis, à 48 milles à l’est de Winnipeg, avec quelques compatriotes : Reynaud, Vincent, Rateau, Saraillon, Jules des Vignes. Fortement boisé, le lieu était peu accessible faute de chemin. Un Saraillon y est seul resté. L’entrepreneur continua son métier de constructeur tant qu’il put travailler. Mais il était aussi rebouteur, en vertu d’un « don », et jouissait comme tel d’une grande renommée. Il ne voulait accepter d’autre rétribution qu’une simple prière.

Les Cazes étaient des braves gens, accueillants et généreux, qui aidèrent beaucoup de jeunes Français. Quand le père mourut, à 85 ans, c’était depuis longtemps déjà un patriarche à la longue barbe blanche. Ainsi revit-il dans la mémoire de tous ceux qui le connurent. Sa femme décéda au même âge, quelque temps après lui. Tous leurs enfants sont demeurés au Manitoba. Une des filles, Louise, a épousé Georges Taburet ; Thérèse, mariée à Lévis Leclerc, de Saint-Adolphe, a laissé douze enfants ; Françoise est devenue Mme Raymond Reynaud.

Georges Taburet, né à Nantes et élevé dans le Morbihan, avait suivi des cours de jardinage à Angers. Arrivé à Winnipeg en 1904, après dix ans d’emploi dans les hôtels, il fit bravement la guerre avec cinq frères demeurés en