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cifique Canadien décida de faire passer sa ligne de chemin de fer beaucoup plus bas. Un propriétaire de Fort-Qu’Appelle, avec qui le lieutenant-gouverneur entra en pourparlers pour l’acquisition de terrains, demanda, paraît-il, un prix jugé exorbitant. On choisit alors, un peu au sud, un lieu de campement célèbre, le « Tas d’Os », ainsi nommé à cause d’un monceau d’ossements de bisons qui le signalait de loin aux voyageurs. Un petit ruisseau coulait auprès, ce qui en faisait un lieu de halte tout Indiqué dans la vaste prairie. Le fameux chef sioux Taureau-Assis s’y était arrêté avec deux mille guerriers, au lendemain du massacre de l’armée américaine du général Custer. Dans cette région du Tas d’Os se déroula, au printemps de 1881, la dernière grande chasse aux bisons. Quelques mois plus tard, ce lieu désert devenait la capitale du Nord-Ouest sous le nom latin de Regina, en l’honneur de la reine Victoria, glorieusement régnante.


Échec du plan de colonisation La Londe

Nous avons vu quel rôle devait jouer la vallée de la Qu’Appelle dans le plan grandiose de colonisation rêvé par de La Londe et son groupe. Par une coïncidence fâcheuse, survint alors en France la débâcle financière de l’Union Générale. Elle frappait durement les milieux monarchistes et catholiques, auxquels appartenaient presque tous les actionnaires de la Société. Aussi la plupart se virent-ils dans l’impossibilité de faire honneur à leur promesse. Mais avec le concours des Canadiens, pensait-on, le projet pouvait encore être sauvé. Un avocat de Paris, plus tard juge en province, Me Maurice Lemarchand, qui se trouvait, avec son père, engagé dans l’affaire pour une assez forte somme, vint passer plusieurs mois au Manitoba dans ce but. Peu après son départ, on annonçait la fondation, à Saint-Boniface, de la Société canadienne de Colonisation, dont il était actionnaire, avec de Cazes et des Franco-Manitobains en vue comme Dubuc, Larivière, Bernier, etc. De Cazes, qui avait travaillé à l’organisation des deux sociétés, signa à Paris, avec le baron Joseph Reinach représentant le Pacifique Canadien, un contrat transférant les pouvoirs de la première à celle du Manitoba. Les promoteurs comptaient être en mesure d’établir chaque année de 150 à 200 familles, jusqu’à la mise en valeur entière des 200,000 acres de terre à leur disposition.

De nouvelles difficultés, sans doute d’ordre financier, empêchèrent la réalisation du projet, qui eut un commencement d’exécution. C’est ainsi que l’on voit Charles de Cazes installé quelque part dans la vallée de la Qu’Appelle. Il tient à prêcher d’exemple et cultive avec succès. En 1887, il obtient treize premiers prix sur quatorze pour les légumes à l’exposition agricole de Regina. Mais trois ans après, il occupe le poste d’agent des Indiens à Edmonton et dans les premières années du siècle, nous le retrouvons à Saint-Boniface.

Au printemps de 1884, le jeune Marie-Joseph-Alphonse-Raymond de Journel avait déjà choisi de s’établir sur les bords du lac Long. Il y fit l’acquisition de cinq à six mille acres de terres propres à la culture et à l’élevage. L’année suivante, étant allé passer quelques mois dans sa famille à Paris, il se disposait à reprendre la route du Canada lorsqu’il mourut subitement au milieu des siens. Ce colon prometteur, l’un des premiers de l’aristocratie française, n’avait que 23 ans. Fernand de Journel, son oncle, vint plus tard avec sa famille et tenta de poursuivre l’œuvre à peine ébauchée. C’est une population en grande partie d’origine allemande que l’on trouve aujourd’hui sur les rives du lac Long.

Vers la même époque, l’agent d’immigration Bodard signale entre autres la famille Grimeau, de la Drôme, sur la voie de la prospérité au bout d’un an de séjour. Ses descendants résident toujours à Lebret. La famille Péalapra, d’Annonay (Ardèche), arriva dans la vallée de la Qu’Appelle en 1895, après avoir passé trois ans dans la région de Yorkton. Elle aussi a fait souche à Lebret et dans les environs. L’Oblat Louis Péalapra a surtout vécu au Manitoba. Le Breton François Doll fut longtemps jardinier-chef de l’École indienne. Sa veuve vit encore et quelques-uns des fils sont devenus ingénieurs agricoles et forestiers.

Ces émigrants et les autres n’avaient guère besoin de l’intermédiaire d’une société de finance pour se procurer des terres, à une époque où elles étaient offertes gratuitement. Mais le capital français ne s’introduisait pas moins dans l’Ouest où il allait porter son appui à la colonisation. Dès 1884, une succursale du Crédit Foncier Franco-Canadien s’ouvrait à Winnipeg, sous la direction de Joseph Royal ; et d’autres institutions similaires allaient suivre.


Le P. Joseph Hugonard et l’école modèle pour les Indiens à Lebret

Lebret n’est qu’un modeste village dont l’atmosphère rappelle singulièrement celle du vieux Québec rural. Mais avec son école-pensionnat pour Indiens, son scolasticat des Oblats et son centre de missions couvrant un large territoire, il occupe toujours une grande place dans la région. Il y a presque un siècle, la « Mission », comme on l’appelait alors, était le seul lieu de culte catholique entre Saint-Boniface, au Manitoba, et Saint-Albert, en Alberta. Les deux premiers Oblats assignés à ce poste furent des Bretons : le P. Decorby et le P. Lestanc. Dans un rayon de 200 milles, ces missionnaires devaient faire usage de sept idiomes différents : le français, l’anglais, le saulteux, le sioux, l’assiniboine, le cris et même le hongrois. Le « petit Père Decorby » avait la réputation de savoir toutes les langues et c’était un jeu pour lui de passer de l’une à l’autre.

Le P. Joseph Hugonard, né à Colombes (Isère), était séminariste lorsqu’éclata la guerre franco-prussienne et fit la campagne comme infirmier. Trois mois après son ordination, il partait pour la mission de Qu’Appelle où il devait passer toute sa vie. Son œuvre fut l’éducation des Indiens, auprès de qui il exerça un