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réel ascendant. En 1885, il réussit seul à empêcher ceux de Files-Hills et de Crooked-Lakes de se livrer au massacre des Blancs. Star Blanket, l’un des chefs de Files-Hills, avait embusqué ses guerriers dans des ravins au nord de Lebret. Le missionnaire alla le trouver dans sa retraite et le persuada de se soumettre.

Les Oblats avaient ouvert des écoles dans la plupart de leurs missions indiennes ; mais faute de ressources suffisantes, ils éprouvaient des difficultés à maintenir et à développer cette œuvre. Mgr Grandin décida le gouvernement fédéral à accorder le soutien matériel à ces écoles, tout en les laissant sous la direction spirituelle des missionnaires et des religieuses. À Fort-Qu’Appelle, il en existait une pour tout le district que l’on confia au P. Hugonard. Elle progressa rapidement et devint l’établissement modèle d’autres institutions analogues, aujourd’hui au nombre de quarante dans tout le Nord-Ouest. Les jeunes Indiens des deux sexes, tout en recevant l’instruction élémentaire, s’exercent à certains travaux manuels et aux soins ménagers.

Le P. Hugonard fut entouré d’une très haute estime par les autorités officielles du pays. Par leurs soins, un monument à sa mémoire a été érigé dans la cour d’honneur de l’école-pensionnat de Lebret. Il est demeuré une figure légendaire chez les sauvages qui l’appelaient « le grand prêtre et le grand homme du gouvernement ». À son exemple, plusieurs autres Oblats français ont dirigé des établissements similaires : les PP. Henri Delmas à Duck Lake ; Pierre-Marie Moulin (Loire-Atlantique) à Hobbéma ; Maurice de Bretagne (Pas-de-Calais) à Lebret, etc.


Le prestige du nom Français chez les aborigènes

Dans la capitale toute neuve de Regina, autour des années 90, un voyageur français peut noter quelques détails intéressants. On y trouve un hôtel de premier ordre tenu par Florent Arnold, un Alsacien. Le lieutenant-gouverneur Joseph Royal s’offre le luxe d’un jardinier français, Guillaume Goffray. Un peu plus tard, le Mâconnais Alfred Tarut, arrière-petit-neveu du poète Lamartine, y sera le représentant du Crédit Foncier et l’agent consulaire français. Après une brillante carrière d’hommes d’affaires, il décédera à Montréal en 1956, à 89 ans, officier de la Légion d’honneur.

Le sympathique Pierre Foursin, futur fondateur de Montmartre, assistant par hasard à Regina, à un procès entre Indiens d’une réserve voisine, constate que la France jouit toujours d’un haut prestige auprès des aborigènes. Laissons-lui la parole :

« Le président du tribunal était le maire de Regina. M. Forget, en sa qualité d’assistant-commissaire des Indiens, occupait des fonctions multiples qui lui permettaient, d’après ce qui m’a semblé, de cumuler le ministère public et la défense et de former, à lui tout seul, le jury. Je fus invité à m’asseoir près du tribunal. Une demi-douzaine de cavaliers de la police montée faisaient le service d’ordre et introduisaient les témoins et les accusés, les uns et les autres fort nombreux, dans des costumes très sommaires, le visage imberbe orné de fioritures multicolores, enfin la nature même. La civilisation n’était représentée que par des couvertures provenant des distributions administratives qui sont, avec quelques colliers de coquillages et une paire de mocassins, tout le costume des enfants de la prairie. Un interprête les assistait. Pourtant, l’une des accusées, Mme Petit-Gras, avait déclaré pouvoir répondre en anglais, en cris et en français. Mais les dépositions fort longues, gesticulées avec lenteur et gravité, eurent lieu en cris. La cause était que des querelles anciennes entre guerriers avaient été rallumées par une provocation que l’un d’eux était venu faire devant la tente de son adversaire. Les squaws étaient sorties en même temps que ce dernier et avaient séparé les combattants ; mais l’une d’elles se plaignait d’avoir reçu un terrible coup de tomahawk sur l’épaule. Le tomahawk figurait comme pièce à conviction ; c’était une vulgaire, mais énorme trique. Les témoins entendus avaient, selon l’usage, embrouillé et aggravé les choses. Les deux camps se reformaient à l’audience même et ravivaient leurs haines réciproques, quand Forget se leva pour les haranguer. Après avoir amolli adroitement les nerfs trop tendus et préludé par des considérations élevées, il les adjura de ne pas donner un pareil spectacle à un voyageur français — il me présentait à l’auditoire avec un geste ample et vraiment indien — il ne fallait pas qu’en France on pût avoir une mauvaise opinion des Indiens Cris, et des doutes sur la douceur de leurs mœurs. Entraîné spontanément par une raison pareille et la pathétique péroraison qui suivit, le mari de la victime vint majestueusement et silencieusement me serrer la main ; puis il serra la main de l’orateur justicier, celle du président, et se tournant enfin vers l’accusé, il lui serra non moins solennellement sa main coupable, mais pardonnée, amnistiée au nom de la France ! Tous les guerriers vinrent nous serrer et se serrèrent les mains en observant le même cérémonial. Cela dura une demi-heure. Le président n’eut plus qu’à consacrer ce touchant dénouement par la lecture d’une formule légale. Les squaws, y compris celle qui avait reçu les coups, n’eurent pas voix au chapitre. Dans cet Occident lointain, on pratique à l’égard de la femme des habitudes extrêmement orientales. »


Eugène Fouillard, « Père des Métis »

Un peu partout dans l’Ouest, des colons français ont souvent pour voisins des Métis de leur langue, avec lesquels ils font toujours bon ménage. Quelques-uns même se sont acquis des droits à la reconnaissance de cette portion déshéritée du peuple canadien. Saint-Lazare, à 150 milles à l’est de Regina, est une vieille paroisse du Manitoba demeurée essentiellement métisse. Eugène Fouillard, venu de Reims en 1904, s’installa plus tard dans ce village pitto-