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Le « soleil », c’est le pirate de la ville ; il a toujours soif, toujours faim, mais il n’a jamais de travail, jamais de domicile, jamais d’autre ambition que de trouver en hiver un rayon de l’astre auquel il a emprunté son nom ; en été l’ombrage des arbres de nos promenades publiques et le secours des bancs de la Petite-Provence ou du Pont-de-Pierre.

Chose curieuse : il vole souvent, il ne tue jamais. Il connaît à fond la correctionnelle, on ne le voit pas comme accusé à la cour d’assises. Il n’a généralement qu’une passion, l’alcool ; seulement le delirium tremens qui fait voir rouge aux autres, se contente de l’abrutir ou de le jeter, l’écume aux lèvres, en proie à l’épilepsie horrible, sur le pavé des rues noires, sales, étroites, où vivotent dans l’ombre les « caboulots » infects et les propriétaires de petites maisons à gros numéros.

Ce qui sert jusqu’à un certain point d’excuse au « soleil », c’est son originalité ; certes il ne pêche point par excès de banalité, et l’étranger qui arrive à Rouen pour visiter les superbes monumens gothiques de la ville de Rollon, est littéralement ahuri lorsqu’il voit défiler à certaines heures dans les voies les mieux fréquentées, ces individus noirs comme si on les avait taillés dans un bloc de charbon, vêtus ou plutôt dévêtus d’une façon si étrange,