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traînant des loques à travers lesquelles apparaît la nudité repoussante des corps maladifs, meurtris par toutes les intempéries des saisons, saignants des luttes dans les assommoirs, brûlés par le soleil, dévorés par les insectes.

Ils vont, avec le déhanchement particulier des gens toujours fatigués, les bras ballants, l’œil morne, cherchant dans le sable jaune des cafés les détritus de cigarettes et les « mégots » que les consommateurs ont jetés.

Rien de plus pittoresque et de plus troublant pour les voyageurs qui s’arrêtent à Rouen, que l’antithèse énorme entre ces cafés du quai aux terrasses desquels se réunit dans la journée ce que nous appellerions le high-life Rouennais, si nous n’avions en horreur les locutions anglaises et les bancs verts où s’étalent, en plein soleil, tous les misérables déguenillés, jetant philosophiquement un regard plein d’indifférence, un regard à la Diogène, sur les heureux de ce monde qui peuvent se payer des absinthes gommées à 50 c. et des Sherry-Goblers à 1 fr. 75.

Le Rouennais, lui, s’est tellement habitué au spectacle, qu’il ne s’en aperçoit plus. Le « soleil » est pour lui une chose, un décor compris dans le paysage. Il fait partie du