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mixture étrange, dont deux ou trois petits petits verres jettent un homme sous la table, et dont l’usage journalier peut tuer lentement, comme un de ces poisons dont les Vénitiens avaient jadis le secret.

C’est toujours plein, chez Alphonse, et on y boit depuis quatre heures du matin jusqu’à minuit ou une heure. On entre là dedans dès qu’on a quatre sous en poche, et grâce à la bonne confraternité des gens plus fortunés on en sort presque toujours ivre ; quelquefois mort.

Deux ou trois issues permettent au public spécial qui fréquente l’endroit de parvenir jusqu’au comptoir, sur lequel brillent des petits goblets d’étain qu’un employé ne cesse de remplir.

Pour un prix des plus modiques, les malheureux qui viennent échouer là peuvent se brûler à loisir la gorge et l’estomac. Les murs sont noircis par le contact des mains d’ivrognes qui s’y sont appuyées ; sous le plafond bas, enfumé, des rangées de bouteilles, et au fond un grand panneau terni par les nuages du tabac : une peinture assez réussie et représentant une vue du port de Rouen. Le port, les navires, le paysage du dernier plan sont perpétuellement dans un épais brouillard.

Il faut avoir l’habitude de fréquenter ce