Page:Fraigneau - Rouen Bizarre.djvu/219

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énorme ; dans la fumée des pipes et des petites lampes à pétrole, à travers le va-et-vient de deux ou trois grosses filles, dont les bras rouges débordent des manches retroussées, malgré le bruit des conversations, le choc des verres, le grognement des toutous faméliques et le ronflement des ivrognes, un violoneux, calme et digne, exécute sur son instrument le grand air de Lucie de Lammermoor ou la dernière ineptie de Paulus.

Respect à ce musicien, car c’est le Trouvère ! C’est lui qui apporte dans cet antre, on se trouvent parfois réunies toutes les mauvaises passions humaines, un cri de poésie. Dans cette pièce horrible, dont les murs noircis sont recouverts, en quelques endroits, d’inscriptions ou de dessins obscènes, c’est lui qui évoque le souvenir du soleil, du grand air, de la liberté chez (les êtres devenus peu à peu les prisonniers de l’alcool.

Il chante comme Homère, cet aïeul, mais au lieu d’une lyre, il porte un violon. Au bout d’un certain nombre de siècles avant et après Jésus-Christ, ce progrès était tout indiqué et n’a, par conséquent, rien de bien étonnant. Le Trouvère s’interrompt de temps en temps pour faire une quête qui produit au plus cinq ou six sous, ou pour boire une tasse, que quelque ancien figurant, ému