Page:François de Neufchâteau - Les Vosges, poème récité à Épinal, 1796.pdf/33

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
29

fut rangé de leur parti, contre les Encyclopédistes. Sa raison s’égara. Il ne voyait que des fantômes, des satellites menaçans. Il entra dans le cabinet de l’Archevêque de Paris, Baumont, qui le pensionnait, et s’écria, en l’abordant, d’une voix sépulcrale : je suis perdu, je suis damné. L’Archevêque le rassura d’une absolution et s’en débarrassa, en l’envoyant à l’Hôtel-Dieu. Il fallut y lier le malheureux Gilbert. Cinq semaines avant sa fin, dans un accès de fièvre, il avait avalé la clef d’une cassette, dans la crainte que son argent ne lui fût dérobé par ces coquins de philosophes. Au fort de son délire, il désignait l’endroit ou était cette clef, en portant la main à son col ; mais vu son état de démence, on ne prit pas garde à ce geste. À l’ouverture de son corps, on trouva la clef engagée dans les tendons de l’ésophage. Huit jours avant de succomber à cette pénible agonie, il imita des pseaumes une ode, un vrai cantique, commençant par ce vers :

J’ai révélé mon cœur au Dieu de l’innocence.

Il fait un tableau pathétique de l’abandon où il était. Voici les trois dernières strophes, bien dignes d’être retenues :

Au banquet de la vie infortuné Convive,
J’apparus un jour, et je meurs ;
Je meurs, et sur la tombe où lentement j’arrive,
Nul ne viendra verser des pleurs.

Adieu, champs que j’aimais, et toi, douce verdure,
Et vous, riant exil des bois !
Ciel, pavillon de l’homme, admirable nature,
Adieu, pour la dernière fois.