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GUIDE DU BON SENS

POLYDOXE. — Il n’est pas rare qu’une chanson bachique soit ainsi chantée par un isolé, et même reconnaît-on que ce promeneur solitaire est ivre, à ce qu’il chante.

EUDOXE. — Avouez qu’un ivrogne n’aurait guère l’idée d’extérioriser son ivresse par la chanson de Dame Tartine… L’exaltation de la bonne nourriture, pâtisserie ou cuisine, en quoi spécifiquement consiste la gourmandise et qui la caractérise intégralement, s’accommode moins de la solitude que l’éloge du vin et de même est-il plus courant de voir des gens se cacher pour boire, seuls, dans leur coin, que pour manger seuls. L’excitation du repas pris en commun, l’émulation entre les convives, ajoutent à l’agrément des mets dont on aime à énoncer, vanter et discuter la composition et la saveur.

POLYDOXE. — Critiques, éloges, discussion, les plaisirs de la table ne sont donc pas aussi dépourvus que vous le leur reprochiez de toute préoccupation intellectuelle. L’esprit y réclame sa part. Et vous n’ignorez pas, fréquemment citée, la recommandation du véritable amateur de vieil armagnac, qui se garderait de boire aussitôt le verre qu’on vient de lui tendre, rempli de la liqueur fameuse, mais d’abord le porte à ses narines, puis le repose sur la table avec précaution, après quoi, recommande-t-il, « on en cause… ».