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SOUVENIRS D’UN PAGE.

Et comme si la nature n’avait point fait assez pour embellir ce charmant séjour, on y avait appelé le concours de tous les arts pour la construction d’un pavillon où l’industrie humaine s’était déployée tout entière. Chaque profession s’y était surpassée ; il n’y avait pas jusqu’aux ferrures elles-mêmes qui ne fussent un modèle de goût et de délicatesse. Mais ce qui aurait suffi pour rendre ce lieu célèbre, c’était la présence de deux chefs-d’œuvre de la sculpture moderne, une Diane d’Allégrin, où le marbre semblait s’être plié aux désirs de l’artiste, et une Vénus sortant du bain, non moins admirable d’exécution.

Les temps malheureux où nous avons vécu sont cause que, dans les tableaux les plus riants, nous voyons apparaître une ombre, formée par quelque souvenir sinistre. Ce pavillon rappelle le sort du jeune Maussabré, aide de camp du duc de Brissac, qui y fut découvert au mois de septembre 1792. La curiosité seule avait porté la horde de bandits qui parcourait le pays, à visiter le pavillon de Luciennes ; ils en arrachèrent cet officier pour le conduire à l’Abbaye, où il fut massacré.

Mais, sans aller chercher des souvenirs étrangers à mon sujet, la femme qui possédait ce temple du luxe, qui avait vu, par le caprice du maitre, toute la cour à ses pieds, qui avait vu un duc (le duc de Gesvres) assez vil pour profiter de sa difformité et prendre le titre de Sapajou de la favorite ; cette femme, qui avait survécu à sa chute, ne fut-elle pas elle-même la victime