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Page:France d’Hézecques - Souvenirs d’un page de la cour de Louis XVI.djvu/179

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SOUVENIRS D’UN PAGE.

heures et demie, à moins que des chasses ou des cérémonies n’en avançassent l’instant ; et je l’ai vu, dans quelques circonstances, à cinq heures du matin.

C’était à l’heure du lever que se rendait au château la foule des courtisans, soit de Versailles, soit de Paris. Les uns venaient se faire remarquer, ceux-ci chercher un regard du prince, d’autres se répandaient ensuite dans les bureaux, chez les ministres, pour y solliciter des faveurs, souvent demander de l’avancement, et n’y obtenir que des refus ou de la hauteur ; car, de tout temps, les subalternes croyaient s’acquérir de la considération par leur fierté, prenant presque toujours la morgue pour le talent.

Tout ce monde attendait le moment du lever dans l’antichambre ou la galerie et ceux que leur service appelait, ou qui avaient ce qu’on nommait les entrées de la chambre, étaient reçus dans l’Œil-de Bœuf, vaste salon qui, comme je l’ai dit, précédait la chambre du roi, ainsi appelé d’une croisée ovale placée dans la voûte. C’était le vrai temple de l’ambition, des intrigues, de la fausseté. Quelquefois, des provinciaux éblouis, des gens distraits ou ignorants, attirés par l’énorme feu de la cheminée ou par la curiosité de voir de plus près cette quantité de cordons bleus, rouges ou verts, qui faisaient groupe près du foyer, avançaient malgré les avertissements multipliés du Suisse et les cris de : « Passez, Monsieur, passez dans la galerie ! » Mais, ô prodige de l’urbanité française passée dans l’âme d’un Helvétien ! le bon Suisse saisissait un