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Page:France d’Hézecques - Souvenirs d’un page de la cour de Louis XVI.djvu/180

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LEVER DU ROI.

prétexte, et, faisant semblant de ranimer le feu, de fermer un rideau, il louvoyait autour de vous et, finalement, vous instruisait à l’oreille de votre méprise et vous épargnait la honte d’un renvoi public. L’honnête provincial rougissait, baissait la tête et souvent remerciait, tandis que le petit-maître qui, malgré son bel habit, n’en était pas moins un intrus dans cette brillante réunion, relevait la tête et fuyait comme de son gré.

Ce gros Suisse végétait derrière un énorme poêle placé au bout de l’Œil-de-Bœuf ; il y mangeait et digérait à la barbe des princes et des ducs. Le soir, il tendait son petit lit dans la grande galerie, et pouvait se dire l’homme le plus magnifiquement logé de France. Il dormait au milieu des glaces, et, au point du jour, son œil entr’ouvert pouvait contempler les chefs-d’œuvre de Lebrun, moins précieux pour lui assurément que le vin de son pays et les étrennes qu’il recevait le jour de l’an. Ce jour-là, son attention redoublait pour ouvrir la porte et tenir la portière aux grands seigneurs qui récompensaient ce service de quelques louis. Un de ces Suisses, au commencement du règne de Louis XVI, se nommait Buchs ; on conservait encore le souvenir de sa malice, de sa franchise et de son originalité.

Quoique le salon de l’Œil-de-Bœuf fût très-vaste, il y avait des jours où il avait peine à contenir la foule des courtisans. Quelques banquettes, trois ou quatre tableaux de Paul Véronèse en faisaient tout l’ornement