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SPECTACLES.

le disposait mal à goûter l’opéra, où il ne pouvait s’empêcher de bâiller. Je n’ai jamais, en effet, entendu personne chanter plus faux que ce pauvre roi ; heureusement que la musique n’est pas nécessaire pour gouverner ! En revanche, la sublime mélodie des vers de Racine lui était particulièrement agréable. Je me rappelle qu’un soir, au coucher, à Fontainebleau, on parla d’une tragédie de ce poëte qu’on venait de représenter. Un des courtisans voulut en réciter quelques vers qu’il estropia. Le roi prit la parole et nous débita toute la scène avec une justesse d’expression qui témoignait du goût du prince et de son instruction.

C’est à ce voyage de Fontainebleau que j’ai toujours fait remonter la haine féroce du poëte Chénier pour les rois, et surtout pour Louis XVI.

On y représentait pour la première fois[1] sa première tragédie, intitulée Azémire, et dont le sujet était emprunté aux croisades. Peut-être avait-il espéré plus d’indulgence de la cour que de la ville, et pensait-il que le respect, qui empêchait de siffler devant le roi, sauverait sa pièce du naufrage. Jamais, en effet, tragédie ne fut plus ridicule. Un chevalier croisé était retenu, comme Renaud, dans les palais d’Armide, par les charmes d’une jeune musulmane. Vainement, tous ses frères d’armes essayaient de le faire rougir de sa faiblesse ; aucun des beaux sermons qui lui étaient adressés ne pouvait dissiper son aveuglement, et il

  1. Le 4 novembre 1786. (Note des éditeurs.)