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SOUVENIRS D’UN PAGE.

ébloui par l’éclat des lumières et des flambeaux, il avait peine à monter son escalier. Les valets qui le voyaient, déjà imbus de l’idée de ses débauches, le croyaient dans l’ivresse la plus profonde ; tandis que, rentré dans ses appartements, et revenu de son assoupissement, il reprenait la conversation et parlait de sa chasse avec des détails que nous trouvions bien longs à trois heures du matin.

Tous ceux qui ont assisté au grand couvert ont pu se convaincre de la sobriété du roi. Il mangeait beaucoup, parce que son tempérament et sa constitution lui en faisaient un besoin ; mais il ne buvait de vin pur qu’à son dessert. Souvent c’était un grand verre de malaga avec une croûte de pain grillé ; mais cette quantité même était proportionnée aux aliments qu’il prenait. Il était, au reste, d’une force peu commune ; j’en puis donner des preuves qui paraîtront peut-être puériles, mais qui nous étonnaient beaucoup. Il y avait, dans l’Œil-de-Bœuf, une pelle si lourde qu’il fallait un homme vigoureux pour l’enlever, ce qu’on appelle à bras tendu. J’ai vu souvent le roi faire ce tour de force en mettant encore sur la pelle un petit page. Un des Suisses du parc avait conservé de ses montages une de ces lourdes carabines qui exigeaient autant de force pour les mettre en joue que pour résister à la commotion qu’elles donnent. Le roi, qui en avait entendu parler, s’échappa un jour à la chasse, alla trouver le Suisse, se fit donner la carabine, et l’ayant épaulée avec la plus grande facilité, la fit