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SOUVENIRS D’UN PAGE.

les lui rappeler, croyait, dans son lit, échapper aux reproches du parti qui devait rester le plus faible, et attendait, pour se déclarer, que le plus fort l’eût emporté.

Quel affreux réveil pour les habitants de Versailles, lorsque, après une nuit agitée, l’aurore leur montra les rues inondées de brigands, revêtus ou munis d’armes plus ou moins bizarres, pillées dans les magasins de Paris ! Portant presque tous des lambeaux de chair au bout de leurs piques, ils marchaient à la suite d’une espèce de bête brute, dont la longue barbe était souillée de sang comme sa hache, et qui trainait après lui les têtes des gardes du corps égorgés dans cette nuit. Vers le point du jour, les bandits, qui avaient passé la nuit sur la place d’armes et dans la cour des Ministres, pénétrèrent dans la petite cour des Princes, dont la grille, par une négligence bien impardonnable, si elle n’était pas coupable, était restée ouverte ; et de là, par le passage ménagé sous le petit péristyle, à droite, ils arrivèrent dans la cour Royale. Un garde du corps était en faction à la grille. Se jeter sur lui, l’égorger et placer sa tête au bout d’une pique, fut l’affaire d’un instant. Ce malheureux se nommait Deshuttes ; il était d’un âge déjà avancé et père d’une nombreuse famille. Bientôt la grille brisée donna entrée à cette multitude d’assassins conduite par des hommes très au courant des lieux et par le duc d’Orléans lui-même. Elle monta l’escalier de marbre, se jeta à droite dans la salle des gardes de la reine, en