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SOUVENIRS D’UN PAGE.

Je ne puis cependant résister au désir de raconter ici une originalité.

Les charmes, les attraits de cette princesse avaient fait une vive impression sur l’esprit d’un ancien membre du parlement de Bordeaux, nommé M. de Castelnau. Toute sa raison n’avait pu le défendre d’un amour d’autant plus extraordinaire qu’il n’était plus jeune, et la tête était perdue. Tout son bonheur consistait à voir la reine, et sa vie se passait dans la galerie de Versailles. Toujours seul, il calculait les instants où il pourrait se trouver sur le passage de la princesse. Il était très-assidu à sa messe, où, sans doute, la prière n’était pas sa seule occupation ; et, au sortir de la chapelle, il courait encore pour la voir retourner chez elle. Entendait-il ses voitures, il était au bas de l’escalier. Les saisons les plus rudes ne le rebutaient pas, et le froid le plus vif ne pouvait arrêter chez lui le désir de voir l’objet de son amour. Triste et taciturne, il se livrait rarement. Cependant j’ai causé plusieurs fois avec lui et quand la conversation tombait sur la reine, il en faisait un éloge aussi simple que respectueux, et il se bornait là. Je le laissai encore à Paris, où il n’avait pas manqué de venir s’établir quand la cour eut quitté Versailles. J’ignore ce qu’il est devenu. Plusieurs personnes m’ont dit qu’il avait été enveloppé dans les massacres du 10 août ; cela ne me paraîtrait pas invraisemblable, car sa passion, son habitude n’auront pas manqué de le conduire au château des Tuileries et de l’y retenir.