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Page:Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau, 1908.djvu/103

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réel seul existe. Je voudrais bien savoir ce que vous dit votre âme.

— J’incline à penser comme M. Renaud Jambe d’Or, déclara M. Tintouin avec énergie. Si M. Paillon n’a pas dame, c’est un malheur pour lui. Mais, quant à moi, je n’ai qu’à me rappeler l’époque où mon orchestre entier, incliné sous ma baguette, laissait pénétrer en lui la volonté que j’avais de lui entendre jouer L’Ouverture de l’Africaine ou la Valse de Faust, pour qu’aussitôt il me soit impossible de douter que nous ayons une âme.

— Une âme ! murmura M. Cabillaud d’une voix suave, une âme ! Quel problème ! Il y a des moments où je crois que j’en ai une, il y a d’autres moments où je suppose que les autres n’en ont pas… Monsieur Pampelunos, reprendrez-vous un petit verre de rhum ! On ne sait jamais ce que nous réserve l’avenir.

M. Pampelunos — qui le savait, au contraire — obéit, empressé et il but, avec la hâte retenue d’un homme qui a été habitué de bonne heure à constater que même quand la distance de la coupe aux lèvres est franchie, il peut encore arriver bien des choses.

— Tout cela est fort bien, messieurs, dit enfin M. de Meillan, mais ce sont les occupations de gens oisifs. Votre conversation me prouve que, malgré tout, vous avez encore du temps à perdre. Mon âme, chez moi, fait chambre à part, et se tire d’affaire toute seule.

— Sarcey, annonça M. Micaëlli, mon maître Sarcey me disait fort souvent : « Une bonne digestion, voilà l’image la plus approchante et la meilleure preuve de l’existence de l’âme. Tout le reste n’est qu’inquiétude inutile, billevesées, vapeurs noires ».

Paillon, dégoûté d’avoir affaire à tant de personnes évidemment dénuées de culture scientifique, avait entrepris