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Page:Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau, 1908.djvu/128

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Le premier, Eucrate eut la force de sortir de son rêve :

— C’est épatant ! dit-il.

— C’est tout à fait extraordinaire, dit Ludovic.

— Et puis, quelle émotion, insista Jacques, quel charme !… Les rythmes allitérés…

— Évidemment, dit Esmont, mais ça fait un effet !… On se demande comment c’est cuisiné. Mâtin ! mon cher, vous en avez une technique !

— Si, dit Eucrate, on pourrait analyser. Mais ce serait besogne de pédant. J’aime mieux rester sur ma sensation.

— Avec des mots, reprit Ludovic, avec des mots horriblement simples, arriver à ce…

Son geste pulvérisait l’impondérable ; sa bouche se contractait avec le léger sifflement qui exprime que quelque chose de suprême frôle nos sens trop faibles pour le pleinement percevoir.

— Ce que je donnerais pour bâtir des machines comme ça, moi ! répétait Jacques avec tous les signes d’une sombre et impuissante envie.

— Et vous prétendez, reprit Eucrate, que la Revue rouge

— Comme je vous le dis…

— Ah ! ah ! ah ! c’est un peu fort. On imprime Merrill, Regnier, Yerhaëren, Jammes, des poètes de valeur certes, mais enfin dont pas un n’aurait pu coller debout ces trois strophes, et on refuse Murmures dans la Nuit. L’inconscience de tous ces gens-là donne une idée de l’infini.

Le silence se fit de nouveau. Une indignation muette crispait les visages. Jacques de Meillan offrit une seconde fois du thé. Paolo Mercanti avait réintégré ses œuvres complètes dans la poche intérieure de son veston. Il avait