Page:Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau, 1908.djvu/37

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les linons, les percales. Ces blancheurs, ce murmure des lampes, et ce brouillard bleuâtre rendaient tout si étrange que Jacques ne discernait plus s’il était dans un magasin ou dans une solitude polaire. Discrètes, ou peut-être appelées par des clients, les demoiselles vendeuses avaient disparu. Et la dame blonde, à la fin hallucinée aussi par tant de choses nouvelles, s’habituait déjà aux protestations fabuleuses du jeune homme. Elle ne répondait rien, parce qu’elle n’aurait vraiment pas su que répondre, mais elle écoutait. C’était extravagant et doux, absurde et enivrant :

— Ma vie vous appartient dès ce soir. Ne répondez pas d’avance que vous ne sauriez qu’en faire, mais mettez-la en réserve, comme on cache un bijou dont le luxe vous paraît d’abord inutile. Un jour vous la retrouverez, peut-être avec plaisir… Elle n’était rien jusqu’ici. De ce soir je lui donne le prix d’un trésor. Ah ! je vois que vous hésitez à me croire, parce que d’autres vous auront habituée à plus de préambules, mais avais-je le temps d’attendre ? Puis-je savoir si les circonstances auraient encore permis une rencontre, et une rencontre plus mondaine ? Si vous me connaissiez ! si vous saviez combien sont sacrées pour moi les convenances les plus infimes, vous comprendriez qu’il a fallu, pour me les faire ainsi mépriser, l’appel irrésistible de la voix qu’on n’entend pas deux fois dans la vie… Ah ! cette voix !… Dites, ma fée…

— Mais, monsieur, taisez-vous.

— Non, c’est ici le palais des illusions. Ces nymphes sveltes et noires — des employées, dites-vous — ne sont ici que pour permettre aux amants, partout ailleurs traqués, de se reconnaître, parmi ce blanc désert de linge… Dites, ma fée, cette voix, je ne veux pas que vous l’ayez déjà écoutée. Je veux que ni mari, ni amant, ni personne