Page:Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau, 1908.djvu/104

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Jacques sur le transformisme et tâchait de lui prouver, en le regardant attentivement, que l’homme descend du singe.

— D’ailleurs, reprit encore M. de Meillan, âme ou pas âme, il n’y a pas moyen d’être heureux, ni d’être tranquille. M’expliquera-t-on pourquoi je cours, travaille et me surmène ? je n’en sais rien moi-même. Car enfin il est difficile d’admettre que ce soit uniquement pour assurer à ce garnement un bien-être qu’il n’a pas mérité, puisqu’il n’a encore rien fait.

— Personne ne l’explique, répondit M. Cabillaud. C’est pourquoi, mon cher ami, nous ferions tous bien mieux de jouir paisiblement du moment présent sans jamais nous inquiéter de l’avenir, fût-ce le nôtre.

Il dit, plia sa serviette avec méthode et y fit au moyen d’une épingle noire ce signe qui marque chez un convive l’intention de revenir parfois l’utiliser. Puis il se leva, souriant d’une façon exquise, comme quelqu’un qui n’ose faire entendre à haute voix que… tout de même… et sans vouloir le moins du monde… il se fait tard.

Effarés à l’idée d’avoir dépassé la mesure, Pampelunos et Micaëlli prirent congé. Paillon se découvrit une malade qui l’attendait d’urgence à deux heures et demie ; Renaud Jambe d’Or, était l’esclave de l’acétylène. M. Cabillaud lui-même parla d’un monsieur très distingué avec lequel il avait négocié, jadis, la vente d’un stock de crevettes d’Algérie sur quoi il lui était encore dû quatre francs que peut-être, avec de l’adresse, on pourrait… M. de Meillan entraîna M. Tintouin dans son cabinet de travail et Jacques, demeuré seul, regagna sa chambre pour y échanger sa cravate sombre contre un satin plus tendre, plus féminin, mieux adapté au rôle d’ami des jeunes filles, qu’il allait remplir.