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Page:Francisque-Michel - Histoire des races maudites, tome I.djvu/114

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sieurs octogénaires, qui le savaient pour en avoir été témoins, ou par ouï-dire, les Cagots avaient certaines coutumes qui leur étaient particulières, comme celle de préparer leurs aliments, le couvert de leur table, la charge de leur monture, etc. Mais personne n’a aujourd’hui connaissance de ces coutumes. La seule chose que l’on sache, c’est qu’ils avaient l’habitude, sinon le droit, de s’emparer des choses qui n’étaient point préparées ou arrangées de certaine manière. Ainsi, le pain était-il renversé sur la table d’un habitant de race franche, au moment où un Cagot entrait dans la maison, celui-ci prétendait avoir le droit de le prendre et de l’emporter, particularité qui nous a été signalée par un autre Béarnais et par un instituteur des Landes[1]. « Un ancien sabotier, ajoute M. Domengine, m’a assuré que, du temps qu’il allait à la montagne avec son grand-père pour y fabriquer des sabots, ils mettaient le plus grand soin à arranger sur leurs bêtes leurs sacs de vivres ou de hardes, de manière à ce qu’ils ne fussent ni bouche contre bouche ni fond contre

  1. M. Philippe, de Lembeye, et M. Bernède, de Moustey. Une vieille femme a rapporte à M. le docteur Laffore qu’assistant, il y a plus de soixante ans, vers 1780, à la noce de deux Cagots, à Sainte-Marie-d’Oloron, et qu’avant remarqué sur la table servie pour le repas, que devant certaines places il y avait des pains ronds posés sur leur face supérieure convexe, au lieu de l’être, comme d’habitude, sur leur face inférieure plane, elle témoigna son étonnement de cette distinction établie entre les convives, car les petits pains ronds des autres étaient posés sur leur face inférieure. La personne à qui elle s’était adressée lui dit de se taire, et lui apprit que les pains posés sur la surface supérieure convexe désignaient les places de ceux qui étaient cagots.

    Aujourd’hui, à Castelnau-Magnoac, quand un maître, mangeant avec ses enfans et ses domestiques, retourne ainsi le pain, les assistants n’y touchent plus, et le repas se termine. À Escos, commune des Basses-Pyrénées, lorsqu’un homme recherche une fille ou une femme en mariage, il commence par inviter la famille à dîner. Cette politesse lui est rendue ; mais si, pendant le repas, la personne dont il recherche la main retourne le pain sur la table, c’est signe qu’il doit renoncer à ses prétentions. Dans l’un et l’autre cas, c’était dire autrefois aux individus auxquels cette démonstration s’adressait, qu’ils étaient dans l’alternative ou de s’arrêter, ou de passer pour des Cagots, avec lesquels tout rapport était impossible.