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Page:Francisque-Michel - Histoire des races maudites, tome I.djvu/12

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sure que lorsque la dénomination de Cagot était donnée à quelque membre de cette caste flétrie par l’opinion, il avait le droit, par devant la justice du temps, d’exiger une réparation ; mais il ne pouvait la recevoir qu’à la condition de porter un pied de canard sur l’épaule. Ce qu’il y a de certain, c’est que jusqu’à la fin du XVIIe siècle, les Cagots pyrénéens, les Gahets gascons et les Caqueux de la Bretagne étaient astreints par la législation alors en vigueur à porter une marque distinctive, appelée pied d’oie ou de canard dans les arrêts des parlements de Navarre et de Bordeaux.

En proie à tant de misères, si les Cagots espéraient un changement dans la législation et de meilleurs jours pour leur postérité, ils devaient désespérer qu’elle se fondît jamais dans la masse générale, qui, en dépit des ordonnances et des arrêts, s’obstinait à la repousser de son sein : en effet, le prêtre et le tabellion, couchant sur les registres de l’état civil et sur ceux du fisc les noms des Cagots qui naissaient, qui se mariaient, qui mouraient, et qui à force de travail et d’intelligence étaient devenus propriétaires, oubliaient rarement de les accompagner de la qualification qui vouait ces malheureux au mépris et à la haine de leurs semblables, et perpétuaient ainsi la ligne de démarcation qui les en séparait. Ce n’était pas tout : un riche Cagot se mariait-il, son nom et celui des gens de la noce ne tardaient pas à figurer dans une chanson satirique, qui circulait au loin et se transmettait de père en fils. Les Cagots avaient-ils eu une rixe avec ceux qui ne l’étaient pas, vite un chant de victoire où les maudits étaient encore maltraités après le combat. Cependant, ils ne voulurent pas laisser à leurs adversaires le monopole de ces chansons : un Cagot de Bénéjacq, entre autres, en composa une ; mais, au lieu de se livrer à de justes représailles, il entonne un chant où respire la gaîté et la résignation.