Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/107

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certaine époque, a commencé son ouvrage par sa volonté et dans un certain but, il aurait été imparfait avant d’avoir accompli sa volonté et atteint son but, ce qui serait en opposition avec la perfection absolue que nous devons recon­naître à Dieu. 2° La connaissance de Dieu, ou sa providence, s’étend sur les choses univer­selles, c’est-à-dire sur les lois générales de l’u­nivers, et non sur les choses particulières ou accidentelles ; car si Dieu connaissait les acci­dents particuliers, il y aurait un changement temporel dans sa connaissance, c’est-à-dire dans son essence, tandis que Dieu "est au-dessus du changement. 3° L’âme humaine n’ctant que la faculté de recevoir toute espèce de perfec­tion, cet intellect passif se rend propre, par l’é­tude et les mœurs, à recevoir l’action de Yintellect actif qui émane de Dieu, et le but de son existence est de s’identifier avec l’intellect ac­tif. Arrivée à cette perfection, l’âme obtient la béatitude éternelle, n’importe quelle religion l’homme ait professée, et de quelle manière il ait adoré la Divinité. Ce que la religion enseigne du paradis, de l’enfer, etc., n’est qu’une image des récompenses et.des châtiments spirituels, qui dépendent du plus ou du moins de perfection que l’homme a atteint ici-bas.

Ce sont là les points par lesquels les philo­sophes déclaraient la guerre à toutes les sectes religieuses à la fois ; sur d’autres points secon­daires ils tombaient d’accord tantôt avec une secte, tantôt avec une autre ; ainsi, par exemple, dans leur doctrine sur les attributs de la Divi« nité, ils étaient d’accord avec les motazales.

On comprend que les orthodoxes devaient voir de mauvais œil les progrès de la philosophie ; aussi la secte des philosophes proprement dits f fut-elle regardée comme hérétique. Les plus grands philosophes des Arabes, tels que Kendi, Farabi, Ibn-Sina, Ibn-Roschd, sont appelés sus­pects par ceux qui les jugent avec moins de sé­vérité. Cependant la philosophie avait pris un si grand empire, elle avait tellement envahi les ecoles théologiques elles-mêmes^ que les théo­logiens durent se mettre· en defense, soutenir les dogmes par le raisonnement, et élever sys­tème contre système, afin de contre-balancer, par une théologie rationnelle, la pernicieuse méta­physique d’Aristote. La science du calâm prit alors les plus grands développements. Les au^ teurs musulmans distinguent deux espèces de calâm, l’ancien et le moderne:le premier ne s’occupe que de la pure doctrine religieuse et de la polémique contre les sectes héterodoxes ; le dernier, qui commença après l’introduction de la philosophie grecque, embrasse aussi les doc­trines philosophiques et les fait fléchir devant les doctrines religieuses. C’est sous ce dernier rapport que nous considérons ici le calâm. De ce mot on forma le verbe dénominatif tecallam (professer le calâm) dont le participe motecallem, au pluriel motecallemin, désigne les partisans du calâm. Or, comme ce même verbe signifie aussi parler, les auteurs hébreux ont rendu le mot motecallemin par medabberim (loquentes), et c’est sous ce dernier nom que les motecallemin se présentent ordinairement dans les historiens de la philosophie, qui ont puisé dans les versions hébraïques des livres arabes. On les appelle aussi oçouliyyîn, et en hébreu schoraschiyyim (radicaux), parce que leurs rai­sonnements concernent les croyances fonda­mentales ou les racines.

Selon Maimonide (More nebouchîm, liv. I, ch. lxxi), les motecallemin marchèrent sur les traces de quelques théologiens chrétiens, tels que Jean le Grammairien (Philopon), Yahya ibn-Adi

et autres, également intéressés à réfuter les doctrines des philosophes. « En général, dit Maimonide, tous les anciens motecallemin, tant parmi les Grecs devenus chrétiens que parmi les Musulmans, ne s’attachèrent pas d’abord, en établissant leurs propositions, à ce qui est ma­nifeste dans l’être, mais ils considéraient com­ment l’être devait exister pour qu’il pût servir de preuve de la vérité de leur opinion, ou du moins ne pas la renverser. Cet être de leur ima­gination une fois établi, ils déclarèrent que l’être est de telle manière; ils se mirent à argumenter, pour confirmer ces hypothèses, d’où ils devaient faire découler les propositions par lesquelles leur opinion pût se confirmer ou être à l’abri des attaques. » « Les motecallemin, dit-il plus loin, quoique divisés en différentes classes, sont tous d’accord sur ce principe:qu’il ne faut pas avoir égard à ce que l’être est, car ce n’est là qu’une habitude (et non pas une nécessité), et le contraire est toujours possible dans notre rai­son, Aussi dans beaucoup d’endroits suivent-ils l’imagination, qu’ils décorent du nom de rai­son. »

Le but principal des motecallemin était d’é­tablir la nouveauté du monde, ou la création de la matière, afin de prouver par là l’existence d’un Dieu créateur ; unique et incorporel. Cher­chant dans les anciens philosophes des principes physiques qui pussent convenir à leur but, ils choisirent le système des atomes, emprunté, sans aucun doute, à Démocrite, dont les Arabes connaissaient les doctrines par les écrits d’Aris­tote. Selon le Dictionnaire des philosophes, dont nous avons parlé plus haut, il existait même parmi les Arabes des écrits attribués à Démocrite et traduits du syriaque. Les atomes, disaient les motecallemin, n’ont ni quantité ni étendue. Ils ont été créés par Dieu et le sont toujours, quand cela plaît au Créatenr. Les corps naissent et périssent par la composition et la séparation des atomes. Leur composition s’effectuant par le mouvement, les motecallemin admettent, comme Démocrite, le vide, afin de laisser aux atomes la faculté de se joindre et de se séparer. De même que l’espace est occupé par les atomes et le vide, de même le temps se compose de petits instants indivisibles, séparés par des intervalles de repos. Les substances ou les atomes ont beaucoup d’ac­cidents ; aucun accident ne peut durer deux instants, ou, pour ainsi dire, deux atomes de temps ; Dieu en crée continuellement de nou­veaux, et lorsqu’il cesse d’en créer, la substance périt. Ainsi Dieu est toujours libre, et rien ne naît ni ne périt par une loi nécessaire de la nature. Les privations, ou les attributs négatifs, sont également des accidents réels et positifs produits constamment par le Créateur. Le repos, par exemple, n’est pas la privation du mouve­ment, ni l’ignorance la privation du savoir, ni la mort la privation de la vie ; mais le repos, l’ignorance, la mort, sont des accidents positifs, aussi bien que leurs opposés, et Dieu les crée sans cesse dans la substance, aucun accident ne pouvant durer deux atomes de temps. Ainsi dans le corps privé de vie, Dieu crée sans cesse l’ac­cident de la mort qui sans cela ne pourrait pas subsister deux instants. Les accidents n’ont pas entre eux de relation de causalité ; dans chaque substance, il peut exister toute espèce d’accidents. Tout pourrait être autrement qu’il n’est, car tout ce que nous pouvons nous ima­giner peut aussi exister rationnellement. Ainsi, par exemple, -le feu a l’habitude de s’éloigner du centre et d’être chaud ; mais la raison ne se re­fuse pas à admettre que le feu pourrait se mou­voir vers le centre et être froid, tout en restantle feu.