résulte de la lecture attentive de ce beau livre a quelque chose de lumineux pour l’intelligence et de bienfaisant pour le cœur. On sent respirer à chaque page, et pour ainsi dire à chaque ligne, un souffle d’indépendance et de liberté qui transporte la pensée dans une région bien supérieure aux petites passions du jour, aux petits intérêts du moment. Le calme suprême de cette âme sereine et vraiment philosophique se reflète dans tous ses jugements, dans ses appréciations des hommes et des choses. On entrevoit, sous l’immensité de ce travail, un amour non moins immense de l’humanité, cet amour qui fut la passion sérieuse et comme l’inspiration constante du xviiie siècle. Sur les points les plus délicats, ceux qui ont été si souvent l’objet de violents débats parmi les hommes, sur la religion, sur la liberté, sur le mariage, sur le luxe, partout Montesquieu est guidé par cet esprit de tolérance et d’impartialité qui n’approuve nullement les idées fausses, qui ne légitime pas les institutions immorales ou illibérales, mais qui apprend à être indulgent pour les faiblesses de l’humanité, à tenir compte des difficultés de la vie. Sur toutes ces questions, Montesquieu donne avec vigueur des solutions presque toujours neuves et satisfaisantes ; toujours il se range du côté des partisans de la liberté, à ses yeux la suprême et la seule sagesse, parce que seule elle ennoblit la destinée de l’homme en ce monde, et qu’elle crée pour lui le souverain bien, la grandeur morale, en lui donnant la force et le mérite du dévouement et du sacrifice.
Les contemporains de Montesquieu durent remarquer que ce magistrat ne craignait pas d’aborder, dans un livre destiné à tout le monde, des questions réservées jusque-là aux seuls hommes d’État, ou tout au plus à quelques penseurs solitaires. De plus, il était un homme d’ordre, et son livre, si ennemi des révolutions, poussait cependant aux réformes. En mettant à nu, par une exposition savante et claire, les fondements mêmes et les plus secrets ressorts de la société, les liens réciproques qui rendent solidaires les uns des autres les divers membres de l’État, les différentes classes d’hommes qui le composent, Montesquieu inspirait à tous le sentiment de la fraternité.
En résumé, Montesquieu précisa mieux qu’on ne l’avait fait avant lui la portée véritable et le vrai caractère des problèmes qui constituent la science politique. Son style attirait à ces questions, non-seulement les esprits sérieux et cultivés qui s’y portent naturellement, mais encore ceux qui, plus frivoles ou plus artistes, ne peuvent étudier que les livres qu’ils admirent. Le premier, il donnait une idée nette de la liberté politique, et montrait comment on peut la réaliser dans les constitutions et dans les lois. C’est en ce sens qu’il introduisit dans notre pays, sous une forme systématique et précise que ne put jamais leur donner Voltaire, ce qu’on a appelé depuis les idées anglaises. Montesquieu laissait pressentir comment il serait possible de les appliquer à la France. Ceux qui liront le livre XI, et surtout le chapitre vi de ce livre, et qui le compareront à la Charte de 1814, verront jusqu’à quel point les hommes d’État de notre siècle et de notre pays ont fait des emprunts à l’Esprit des lois. On dirait que ce chapitre vi est un exposé de motifs de cette Charte. Enfin, ce qui est, à notre sens, un grand mérite pour Montesquieu, c’est qu’en toutes choses il a un regard vers l’histoire, qui est pour lui non pas seulement comme un enseignement permanent et comme une expérience vivante, mais qui est encore le grand livre des origines où s’explique et s’éclaire le présent. Montesquieu ne voulait pas qu’un peuple, plus qu’un particulier, risquât sa fortune à la poursuite d’un progrès mal défini. Il avait trop appris, en méditant sur les causes de la grandeur et de la décadence des peuples, que rien de durable ne s’improvise dans ce monde, que tout y a besoin d’être préparé ; et que si le chêne est le roi de nos forêts, si sa cime se balance jusque dans les nuages, c’est que, plus qu’aucun autre arbre, il est lent à se former et à grandir, et qu’avant d’étendre ses rameaux et de protéger de son ombre tout ce qui l’entoure, il a pu enfoncer ses racines jusque dans les entrailles de la terre.
L’Esprit des lois est donc à la fois une synthèse et une analyse. Le droit politique et le droit civil, l’économie politique, la religion et l’histoire y ont leur place comme dans la réalité elle-même. En traitant de tous ces grands objets de la pensée humaine, Montesquieu les envisage par le côté où ils se touchent, à savoir, dans leur rapport avec l’État ; et peut-être doit-il à la hauteur même où il s’était placé la rare justesse, l’impartialité philosophique de ses décisions. Comme d’un sommet élevé le spectateur aperçoit mieux que dans la plaine les ondulations du terrain et les sinuosités de l’horizon, de même l’auteur de l’Esprit des lois n’est ni un utopiste pur, comme Platon et Thomas Morus, ni un jurisconsulte enfermé dans les textes, comme Ulpien ou Cujas, ni un économiste, comme Quesnay ou Adam Smith, ni un théologien, comme saint Thomas ou Bossuet, ni un politique à outrance, comme Machiavel ou Commynes, ni un historien érudit, mais sans signification et sans portée, comme Mézeray ou Anquetil. Il est, au point de vue où il se place, plus compréhensif, et, par cela même, plus large comme penseur, et cependant plus positif comme homme d’application. C’est là ce qui fait que rien d’étroit ni de local ne se fait jour dans les conclusions si multiples de l’Esprit des lois, et que ce grand monument est de ceux qui ont bien une date dans les annales de la littérature, mais qui, par la force de la vérité qu’ils contiennent, sont de tous les temps et appartiennent à tous les pays
On a fait un grand nombre d’éditions des œuvres de Montesquieu, parmi lesquelles celle d’Auger. Paris, 1816, 6 vol. in-8, et celle de Lequien, 1810 8 vol. in-8. Beaucoup d’écrivains n’ont pas dédaigné de les commenter : nous citerons entre autres Voltaire, Condorcet, Helvétius, d’Alembert, Mably, La Harpe, Destutt de Tracy, M. Villemain, et une foule d’autres.
Il existe encore dans la bibliothèque du château de la Brède un assez grand nombre de manuscrits de Montesquieu, des Dialogues, des Parallèles, dont la publication serait accueillie avec reconnaissance. Fr. R.
MORALE (en grec ἠθική, d’où l’on a fait éthique, de ἠθός, mœurs, c’est-à-dire la science des mœurs). C’est la science qui nous donne des règles pour faire le bien et éviter le mal, ou qui nous enseigne nos devoirs et nos droits, ou bien encore qui nous fait connaître notre fin et les moyens de la remplir. Toutes ces définitions sont également bonnes et expriment exactement la même idée. En effet, malgré tant de systèmes ingénieux ou profonds par lesquels on s’est efforcé d’établir le contraire, l’homme se sent libre, il croit fermement être le maître des actions dont sa conscience le déclare l’auteur. De là cette question qui se présente nécessairement à son esprit et qu’il est forcé de résoudre : Quel usage doit-il faire de sa liberté ? Quel but ou quelle fin doit-il se proposer, et par quels moyens pourra-t-il y atteindre ? Mais cette