Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/1148

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MORA
MORA
— 1142 —


mer ainsi, intervenir en personne pour la défense de ses intérêts ou de ses droits. Il faut donc qu’il existe, sous toutes les formes de gouvernement possibles, des individus ou des corps qui exercent, près des simples citoyens, les droits de la nation tout entière, et se trouvent, par là même, investis de toute sa puissance : ce sont ces intermédiaires entre le corps social et les différents éléments dont il se compose qui forment ce qu’on appelle les pouvoirs publics.

Il n’y a donc de pouvoir légitime que celui qui s’exerce au nom et dans l’intérêt de la société, par conséquent, qui tient de la société elle-même ses titres et son mandat. On distingue généralement trois pouvoirs dans l’État : le pouvoir législatif qui fait les lois ; le pouvoir exécutif qui a pour mission de les faire observer dans leur ensemble et par la société tout entière ; enfin le pouvoir judiciaire qui les applique à tous les cas particuliers, qui en est l’interprète dans les affaires litigieuses. Pour remplir leur destination respective, il faut que ces trois pouvoirs demeurent parfaitement distincts ; les réunir, c’est les détruire au profit du despotisme.

De la nature de ces divers pouvoirs on déduit sans peine leurs devoirs et leurs droits ; et de la constitution générale de la société, du but qui lui est proposé, des conditions de son existence, découlent les devoirs des citoyens envers l’État. Ces devoirs peuvent se résumer en un seul : le défendre et le servir par tous les moyens en notre pouvoir, même au prix de notre vie, car nous lui appartenons tout entiers avant d’appartenir à la famille et à nous-mêmes. (Pour plus de détails, voy. État.)

4o L’État une fois constitué, il devient une personne morale qui a ses devoirs, ses droits et sa responsabilité : car, comment mettre en doute un seul instant que ce qui est juste ou injuste pour chacun de nous ne le soit pas pour la société entière ou pour le gouvernement qui agit en son nom ? Comment supposer qu’en agissant au nom de la société, nous cessons par cela même d’être libres et responsables ? Les rapports d’un État à un autre sont donc soumis aux mêmes lois, relèvent des mêmes principes que ceux qui existent entre les individus. Ces lois, comme nous l’avons dit, conservent leur empire jusqu’au milieu de la guerre : car alors même qu’une nation est condamnée à prendre les armes pour faire respecter son indépendance ou pour toute autre cause non moins légitime, elle reste toujours soumise à des règles de justice, de bonne foi et d’humanité, qu’elle ne saurait violer sans se couvrir d’infamie. Mais des nations civilisées ne peuvent pas vivre dans l’isolement, attendant pour se défendre qu’on vienne les attaquer chez elles, et ne portant aucun intérêt à ce qui se passe hors de leur sein ; pour conserver son indépendance, il faut que chacune d’elles veille à celle des autres, que les plus faibles s’unissent contre les plus fortes, que les plus fortes protègent les plus faibles ; enfin que toutes ensemble, tant pour se protéger réciproquement que pour échanger les fruits de leurs génies, de leurs industries, de leurs territoires respectifs, se réunissent dans une société plus générale, sans abdiquer leur ei opre. C’est vers ce but, déjà à moitié réalisé par les congrès diplomatiques et la similitude des gouvernements européens, que tendent de plus en plus les efforts de l’humanité. (V<>y. Destinés HUMAINS.)

III. En montrant quels sont les principes et les véritables problèmes de la morale, nous


avons jugé d’avance les systèmes par lesquels cette science est aujourd’hui représentée dans l’histoire de la philosophie. D’abord la plupart de ces systèmes ne s’occupent guère que des devoirs de l’homme et gardent le silence sur ses droits. Aussi a-t-on essayé, pour combler cette lacune, de former à côté de la morale une autre science qu’on a appelée du nom de droit naturel. Mais cette distinction est tout à fait vaine, car ce qui est un droit pour moi est un devoir pour mes semblables, et réciproquement ; les uns ne peuvent rien exiger que les autres ne soient obligés d’accorder. La loi morale est indivisible de sa nature, et l’on ne réussira à la comprendre qu’en l’étudiant à la fois sous ses deux faces. Un autre reproche qu’on peut adresser à la plupart des systèmes de morale, et surtout à l’enseignement de la morale tel qu’il existe dans nos écoles, c’est qu’ils ne s’appliquent qu’à l’homme considéré d’une manière abstraite, et semblent oublier la société, ou du moins les institutions sans lesquelles la société elle-même serait une pure abstraction : par exemple, la famille et l’État. Qu’est-il arrivé de là ? C’est qu’à côté ou en opposition de la morale des philosophes exclusivement occupés de l’homme, et accusés pour cette raison d’aberration et d’impuissance, on a eu la prétention d’élever une autre science ayant pour unique objet la société, et désignée sous le nom de socialisme. Mais s’il est difficile de se faire une idée exacte des devoirs, des droits et des facultés de la nature humaine, lorsqu’on ne les suit pas dans leur réalisation et leur développement à travers les institutions sociales, c’est une entreprise tout à fait impossible de vouloir, même en théorie, organiser la société quand on ne connaît pas l’homme en lui-même, lorsqu’on n’a jamais essayé de lire dans sa conscience. C’est à la môme science, c’est-à-dire à la morale, qu’il appartient d’étudier à la fois les lois de l’individu et les fondements sur lesquels repose la société. C’est pour avoir méconnu cette vérité que la morale exerce encore si peu d’influence sur les opinions politiques, et que celles-ci, dépourvues de toute base solide, atteignent souvent jusqu’aux dernières limites de la violence et du délire. Ce que nous disons de la politique proprement dite est vrai aussi, dans une certaine mesure, de l’économie politique, à laquelle le philosophe, le moraliste ne sauraient rester étrangers : car il existe une étroite relation entre le bien-être matériel de la société et son développement moral ; chacune des lois de la conscience, et par conséquent chacun des efforts que nous avons faits pour nous en rapprocher, comme chacune des erreurs ou des passions qui nous en éloignent, a des conséquences inévitables dans la sphère de nos intérêts. Enfin les systèmes de morale sont tombés dans la même faute que les systèmes de métaphysique, et, en général, que toutes les œuvres de la réflexion humaine. Au lieu d’embrasser dans un seul tout les divers éléments de notre conscience, ou les mobiles si variés de notre activité, et de les coordonner sans les confondre sous la loi supérieure du devoir, ils en ont fait, en quelque sorte, le partage entre eux, et les ont montres, par une analyse partiale et exclusive, comme autant de principes inconciliables. Pour rester convaincu de ce lait, il ne faut pas un grand effort de raisonnement ni d’érudition : il suffit d’énumérer simplement les opinions les plus célèbres que les philosophes ont produites jusqu’à présent sur le sujet qui nous occupe.

Les principes les plus généraux de nos déterminations, ou les sources premières d’où [[tiret|décou|lent}}