Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/175

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autant qu’on le pouvait alors : il est curieux de voir comment un homme instruit se représentait en ce temps le système de Platon ou celui d’Aristote, et, franchement, Batteux ne les entend pas trop mal. Il a parfois des ré­flexions qui ne manquent pas de profondeur, et il comprend assez exactement l’enchaînement des doctrines. Un esprit tout à fait médiocre n’aurait pas écrit cette pensée : « Otez au Dieu de Zénon l’intelligence et le sentiment, qui dans le fait lui étaient inutiles pour la formation et la conservation des êtres, et vous avez le natu­ralisme de Straton. » La doctrine qui s’accuse dans ces pages est celle d’un spiritualisme tem­péré, qui a peur des hypothèses, mais non pas de la liberté, et qui ne veut pas « se perdre dans l’abîme des causes métaphysiques. » Dans le second ouvrage, que l’on appellerait main­tenant un traité d’esthétique, Batteux soutient que les arts ne subsistent que par l’imiîation ; mais il se demande où ils trouveront leur modèle. Dans la nature sans doute, mais à condition de ne pas la copier, c’est-à-dire suivant sa trèsjuste expression, dans la belle nature : « Ce n’est pas le vrai qui est, mais le vrai qui peut être, le beau vrai, qui est représenté, comme s’il existait réellement et avec toutes les perfections qu’il peut recevoi". » Mais pour se le représenter ainsi, il faut être inspiré, et outre les dons de l’esprit, posséder « surtout un cœur plein de feu noble, et qui s’allume aisément à la vue des objets. Voilà la fureur poétique ; voilà l’enthou­siasme, voilà le Dieu ! » Sans doute il n’y a en tout cela rien de bien original ; mais un livre qui contient des analyses exactes, exposées en style simple et clair, est toujours bon à lire, et peutêtre a-t-on trop définitivement jugé que Batteux a vieilli, et qu’il n’y a dans ses œuvres que des lieux communs de littérature.E. C.

BAUMEISTER (Frédéric-Chrétien), né en 1708, mort en 1785, recteur à Gœrlitz. Il suivait la philosophie de Leibniz et de Wolf, tout en re­gardant l’harmonie préétablie comme une hypo­thèse. Il présenta les raisons qui la défendent et les objections qu’elle soulève d’une manière assez complète et assez impartiale. Ses ouvrages élémentaires ont été utiles. Il donnait beaucoup de définitions, les expliquait et les éclaircissait par des exemples généralement bien choisis. Comme Wolf, il eut le tort de vouloir tout dé­montrer. C’était la méthode du temps et de l’école. Ses écrits, maintenant peu recherchés, sont:Philosophia definitiva, h. e. Definitiones philosophicae ex systemale libri baronis a Wolf in unum collectas, in-8, Wittemb., 1735 et 1762 ;

  • Historia doctrinae de mundo optimo, in-8, Gœrlitz. 1741 ; Institutiones metaphysicæ me­thodo Wolfii adornatae, in-8, Wittemb., 1738,
  1. 1754.

'BAUMGARTEN (Alex.-Gottlieb), né en 1714 à Berlin, étudia la théologie et la philosophie à Halle, où il enseigna lui-même. Il occupa ensuite une chaire de philosophie à Francfort-sur-l’Oder, et mourut dans cette ville en 1762. Baumgarten fut un disciple de Leibniz et de Wolf. Il se montra, plus encore que Wolf, partisan déclaré de la monadologie et de l’harmonie préétablie. Seulement il chercha à concilier cette dernière hypothèse avec celle de l’influx physique, ce qu’il ne fit pas sans mériter le reproche de con­tradiction. 11 montra d’ailleurs un talent assez remarquable de combinaison logique. Le prin­cipal service qu’il a rendu à la philosophie, c’est d’avoir le premier séparé la théorie du beau des sciences philosophiques, avec lesquelles elle avait été confondue jusqu’alors, et d’en avoir fait une science indépendante. Il essaya d’en tracer le plan et d’en expliquer les parties prin­cipales ; mais son travail est resté incomplet. On a eu tort de regarder Baumgarten comme le fondateur, de l’esthétique. Ce titre est acquis et doit rester à Platon. Sans doute, l’auteur de Phèdre et de 1 Hippias a eu tort d identifier le beau avec le bien ; mais il n’en a pas moins fait de l’idée du beau l’objet d’une étude spéciale, et il a pénétré dans cette analyse à une profondeur qui laisse bien loin derrière lui Baumgarten, et tous les autres disciples de Wolf qui se sont occupés du même sujet. La faiblesse du point de vue de Baumgarten se trahit déjà dans la dénomination même qu’il donne à la science du beau. Il l’appelle esthétique, parce qu’il con­sidère le beau comme une qualité des objets qui s’adresse aux sens, et que, pour lui, l’idée du beau se réduit à une perception confuse, c’est-àdire à un sentiment. Dans le système de Wolf, la clarté n’appartient qu’aux idées logiques. Le sentiment du beau n’est donc pas susceptible d’être déterminé par des règles fixes. Il se trouve ainsi que cette science nouvelle, qui vient d’être tirée de la foule, n’a été, pour ainsi dire, éman­cipée que pour être placee dans une condition inférieure, et se voir refuser jusqu’à son titre même de science. Le formalisme de Wolf a em­pêché Baumgarten de comprendre la véritable nature de l’idée du beau et la dignité de la science qui la représente. On sait que la morale de Wolf repose sur l’idée du perfection­nement. Baumgarten applique ce principe à l’es­thétique ; mais en même temps il le modifie. Autrement, ce n’était pas la peine d’avoir séparé la théorie du beau de celle du bien; l’esthétique rentrait de nouveau dans la morale, l’ancienne confusion subsistait. Voici la différence qu’établit Baumgarten:la perfection, selon Wolf, consiste dans la conformité d’un objet avec son idée (par idée il faut entendre la conception logique qui sert de base à la définition). La perfection ne peut donc être saisie que par l’entendement, qui contient toutes les hautes facultés de l’inteiligence ; elle échappe aux sens. Or le beau, c’est la perfection telle que les sens peuvent la per­cevoir, c’est-à-dire d’une manière obscure et confuse. Une pareille perception ne peut produire une connaissance rationnelle (c’est la perception confuse de Leibniz et de Wolf). Les facultés qui sont en jeu dans la considération du beau sont donc d’une nature inférieure, et Baumgarten va jusqu’à définir le génie, les facultés infé­rieures de l’esprit portées à leur plus haute puis­sance.

Il est facile de découvrir une première contra­diction dans cette théorie. Si la perfection con­siste dans un rapport de conformité entre l’objet et son idée, l’idée, ainsi que le rapport, ne peu­vent être saisis que par une opération de l’esprit qui sépare les deux termes et s’élève jusqu’à la notion abstraite. Alors la perception cesse d’être confuse ; mais le beau disparaît, il rentre dans le bien. En second lieu, la beauté n’est pas réelle­ment dans les objets, elle n’est que dans notre esprit. Ce n’est pas une qualité de l’objet, mais une manière de voir du sujet qui le considère. Baumgarten, pour échapper à ces conséquences, admet une perfection sensible ; mais c’est une autre contradiction ; il ne peut y avoir de perfec­tion pour les sens, puisque ceux-ci sont incapa­bles de saisir l’idée. Dans le système de Wolf, la différence entre le fond et la forme, l’idée et sa manifestation extérieure, n’existe pas non plus au sens que l’on a donné depuis à ces termes. La perfection sensible n’est donc pas la manifesta­tion sensible d’une idée qui constitue l’essence d’un objet beau ; il faut seulement supposer qu’en percevant