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Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/226

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des causes occasionnelles au point de soutenir que, pour toute action, « nous avons besoin d’un secours actuel et prédéterminant. » Malebranche, dont il ne partageait pas les opinions sur la grâce, écrivit contre lui ses Réflexions sur la promotion physique. Boursier a eu aussi pour adversaire, le P. Dutertre, qui l’a réfuté durement. Voy. Histoire de la philosophie cartésienne, par M. Bouillier, Paris, 1854, 2 vol. in-8 ; Essai sur l’histoire de la philosophie en France au dixseptième siècle, par M. Damiron, Paris, 1846,

  1. vol. in-8.

BOUTERWECK (Frédéric) n’est pas seu­lement connu comme philosophe ; il était aussi poëte. et surtout fort bon critique. Né à Oker dans le Hartz. en 1776, il étudia d’abord le droit, et finit par s’adonner exclusivement à la litté­rature et à la philosophie. Il professa cette der­nière science à Goëttingue, où il termina sa carrière en 1828.

D’abord partisan des doctrines de Kant, mais bientôt mecontent de l’idéalisme qui en est le dernier mot, et effrayé des conséquences cjue Fichte semblait en avoir rigoureusement tirees, il finit par se jeter dans une sorte de mysticisme philosophique analogue à celui de Jacobi. Il retourne contre les sceptiques leurs propres ar­guments, et les met au défi de prouver que la certitude est impossible. C’est peut-être leur demander plus qu’ils ne sont tenus de donner, les sceptiques pouvant fort bien borner leurs prétentions à soutenir qu’il n’y a rien de certain, pas même ceci : que nous ne savons rien.

Quoi qu’il en soit, Bouterweck, soutenant que le sceptique est tenu d’établir l’impossibilité de la science philosophique, le place par là même sur le terrain du dogmatisme, puisque toute preuve exige un principe, un point de départ certain. Tel est le principe commun entre les sceptiques et les dogmatiques, principe qui doit servir à ruiner la thèse des premiers. Le but de YApodictique, ou Traité de la certitude dé­monstrative, publié par l’auteur en 1799, est de trouver ce point de départ certain, ce principe générateur de la science ; que cette science doive être positive, comme le veulent les dog­matiques, ou qu’elle doive être négative, comme le prétendent les sceptiques. Et, de peur de ren­contrer un principe qui ne serait pas suffisam­ment large pour garantir toutes les croyances humaines primitives contre les atteintes du s epticisme, Bouterweck commence par recon­naître les grandes manifestations de la vie in­tellectuelle, la pensée, la connaissance etYaction. De là trois parties dans Y Apodictique. Dans la première, on examine s’il y a un principe possible de vérité pour la sphère de la pensée pure et simple ; c’est l’objet de Y Apodictique logique. Dans la seconde, on recherche l’existence et la portée de ce même principe en fait de science ; c’est Y Apodictique transcendantale. Dans la troisième, il s’agit également d’établir le fonde­ment de la certitude pratique, et d’en déterminer la sphère d’application ; c’est Y Apodictique pra­tique.

Le résultat de Y Apodictique logique est que la pensée elle-même suppose la connaissance, et par conséquent la réalité. En effet, les jugements n’ont pas simplement pour objet de pures for­mules, mais encore quelque chose que nous connaissons. En ne les considérant d’abord que sous le point de vue logique, on n’y trouve rien de plus, ce semble, que le fait de la pensée même : Je pense. Mais, outre que ce fait est incontestable, il implique en outre un principe supérieur, celui-ci : Je sais que je pense. La pensée suppose donc réellement le savoir ; elle le suppose même à un double titre, puisqu’il y a là deux choses connues, le sujet de la pensée, et le fait de la pensée.

Mais il s’agit ae savoir maintenant quel est le principe de la connaissance ou du savoir. Si ce n’est pas la chose en soi, comme le veut Kant, ni le moi. comme le prétend Fichte, qu’est-ce donc ? Tel est le problème de Y Apodictique transcendantale. L’idée fondamentale la plus élevée que l’homme puisse avoir est celle d Vire, de quelque chose en général. On peut très-bien appeler cet être Yabsolu. Or, en fait, l’existence de l’idée en nous est incontestable. Nous nous sentons attachés, dans notre nature la plus in­time, à quelque chose d’innommé, qui, loin d’opprimer notre liberté, en est, au contraire, comme le principe secret, le sujet dernier. Mais à ce sentiment se joignent aussi ceux de la né­cessité et de la vérité, qui sont subordonnés à l’idée de l’absolu, idée qui accompagne toute pensée. Le scepticisme, tout aussi bien que le dogmatisme, ne peut se dispenser de partir de cette idée, de l’idée de l’être en général ; son doute, autrement, n’aurait ni sens ni raison. Le sceptique, il est vrai, demande qu’on lui prouve que l’idée de l’absolu, dont il reconnaît la né­cessité dans le raisonnement, est quelque chose de plus qu’une idée ; mais, quoiqu’il ne puisse pas dire ce qu’il entend par là, il le sent cependant et l’appelle réalité. L’idée de l’absolu n’a donc pas, pour le sceptique lui-même, une valeur purement logique ou idéale, mais encore une valeur ontologique ou réelle.

Reste à savoir comment nous parvenons à l’absolu, comment nous pouvons légitimement lui donner une valeur ontologique, et ne pas en faire simplement un principe régulateur de la pensée, comme le voulait Kant. On ne peut ré­soudre cette question, dit Bouterweck, qu’en réfléchissant à l’origine de l’idée de l’absolu. L’être étant impliqué dans toute pensée, il ne peut être le produit de la pensée. Donc il est quelque chose d’imaginaire et de chimérique, ou bien il doit y avoir une faculté de connaître absolue, fondement de la raison même, et qui ait pour fonction la découverte de l’être. L’être se trouve aussi au fond du sentiment ; c’est à lui que le sentiment est rapporté. La faculté absolue de connaître n’est donc pas la même chose que le sentiment. Celui-ci suppose la réalité connue par celle-là. Enfin, l’être véritable, réel, n’est pas plutôt découvert par la faculté absolue de connaître, que l’entendement le conçoit identique avec l’idée de l’absolu, en sorte que l’être réel et l’être absolu idéal sont une seule etmême chose. La faculté absolue de connaître produit donc immédiatement et simultanément l’idée de l’ab­solu comme principe régulateur de la raison, et la reconnaissance réelle de l’être comme principe ontologique ou constitutif des choses. Cette fa­culté est donc supérieure à la sensibilité et à la raison.

Mais la réalité se présentant sous deux faces, comme sujet et comme objet, Bouterweck est conduit à désigner, dans la faculté absolue de connaître, la réflexion absolue et le jugement absolu. La première donne les deux aspects d* la réalité absolue, le sujet et l’objet ; le second en donne l’essence invisible, la réalité absolue sans distinction. Du reste, le sujet ne se pose pas lui-même, comme le pense Fichte ; il enl moins encore un produit ae l’objet, comme lo prétend le réalisme vulgaire ; mais le sujet et l’objet se posent simultanément, à titre de réalités opposées, lorsque la réflexion absolue vient à redoubler la réalité absolue. On n’explique pas, du reste, la possibilité de la réflexion absolue.Ce