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Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/234

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mundi incunabulis). La philosophie est antépieure au déluge, Philosophia antediluviana ; il va la chercher sous la tente des patriarches et les chênes des druides, et jusque parmi les peu­plades à moitié sauvages de l’Amérique, Philosaphia barbarica ; il interroge les codes des premiers législateurs, de Minos, de Lycurgue et de Solon, les poëmes d’Homère et d’Hesiode, Philosophia homerica ; il confond ainsi l’his­toire de la philosophie avec celle de la religion, de la mythologie, de la poésie et de la politique. Mais quand on voit la même confusion systéma­tiquement introduite de nos jours dans l’histoire de l’esprit humain, il faudrait être bien injuste pour ne pas pardonner à Brucker d’avoir été trop scrupuleux et d’avoir voulu faire un ouvrage complet.

2U Confondre, ce n’est pas saisir les rapports, mais les supprimer. Aussi Brucker ne comprend pas les véritables rapports qui unissent l’histoire de la philosophie avec les autres histoires parti­culières, ni l’influence exercée sur le dévelop­pement de la pensée philosophique par les évé­nements qui appartiennent à l’histoire religieuse, politique et littéraire, etc. Il ne peut marquer la place de la philosophie parmi les autres éléments de la civilisation ; mais cette pensée n’était pas de son siècle.

3° Brucker suit la méthode chronologique, mais d’une manière tout extérieure : il ne sait pas déterminer les grandes époques de l’histoire de la philosophie d’après les phases qu’a par­courues dans son développement la pensée hu­maine et la réflexion. Il emprunte à l’histoire générale ses divisions matérielles. Une première époque renferme avec la philosophie orientale, la philosophie grecque, et s’arrête à l’ère chré­tienne ; la seconde commence avec l’empire romain et s’étend jusqu’à la renaissance des let­tres : de sorte que l’école d’Alexandrie et la sco­lastique se trouvent comprises dans la même époque. Le xvne siècle forme à lui seul la troi­sième. Pour faire l’histoire des écoles qui figurent dans chacune de ses grandes périodes, Brucker suit un procédé très-commode ; il les range par séries et les fait passer successivement devant nos yeux : les Ioniens d’abord, ayant à leur tête Thalès, puis les socratiques, les cyrénaïques, Platon, Aristote, les cyniques et les stoïciens. Vient ensuite une autre série qui a pour chef Pythagore et qui se continue avec les éléates, les héraclitéens, les épicuriens et les sceptiques. D’abord cet ordre pacifique n’est guère conforme à l’histoire ; il est loin de représenter la mêlée des opinions humaines. Les systèmes ne marchent pas ainsi sur des lignes parallèles ; ils se dévelop­pent simultanément, agissent les uns sur les autres, s’opposent et se combattent. On ne peut donc les comprendre isolément. Ensuite, n’eston pas étonné de trouver Socrate parmi les suc­cesseurs de Thalès et de voir Epicure et les sceptiques marcher sous la même bannière que les pythagoriciens et les éléates ? Cette classi­fication est arbitraire et superficielle.

4° Brucker est très-érudit et très-savant ; mais la critique ne faisait que de naître de son temps. 11 accueille trop facilement les fables et les récits de l’antiquité, et ne sait pas assez distinguer la tradition de l’histoire. 11 ne discute pas suffi­samment les autorités. Les sources où il puise ne sont pas toujours pures, il lui arrive alors de prêter aux philosophes des opinions qui ne sont pas les leurs, et qui contredisent l’esprit général de leur doctrine.

5° Ce qui manque surtout à Brucker, c’est qu’il n’est pas assez philosophe ; il ne sait pas suivre un système dans son développement or­ganique, dans sa méthode, ses principes et ses conséquences. Cette série de propositions juxta­posées et numérotées rappellent trop la méthode géométrique et le formalisme de Wolf. La véri­table clarté ne peut naître que de l’enchaînement logique des idées ? et cette régularité apparente cache une confusion réelle.

La faiblesse des jugements portés par Brucker lui a fait donner le nom de compilateur. Cette ualification est injuste, surtout dans la bouche e ceux qui compilent son livre sans le citer, et dont la critique n’est pas toujours beaucoup plus profonde ni plus vraie que la sienne. Les appré­ciations de Brucker, quoique ne dépassant guère le simpie bon sens déveioppé par l’étude des systèmes, ne sont pas toujours aussi insignifiantes qu’on pourrait le croire ; il suffirait de citer le jugement remarquable sur le cartésianisme. Le disciple intelligent de Leibniz se montre plus d’une fois dans le cours de ce savant ouvrage. D’ailleurs cette infériorité est le sort commun de tous les historiens de profession de la philo­sophie ; car, à un degré supérieur, l’histoire de la philosophie se confond avec la philosophie même. Le véritable historien est le plus grand philosophe de l’époque. Le dernier venu a seul le droit de juger ses prédécesseurs, quand il a su les dépasser et se placer au sommet de son siè­cle. L’histoire de la science se renouvelle et fait un pas à chaque progrès notable que fait la science elle-même. En ce sens, Platon, Aristote, Leibniz seraient les vrais historiens de la philo­sophie.

Voici la liste des ouvrages de Brucker : de Comparatione philosophice gentilis cum Scrip­tura sacra caute instituenda, in-4, Iéna, 1719 ;

  • Historia philosophicœ doctrinœ de ideis, in-8, Augsb., 1723 ; Otium Vindelicum, seu Melelematum historico-philosophicorum triga, in-8, ib., 1729 ; Courtes questions sur l’his­toire de la philosophie, 7 vol. in-12, Ulm, 1731 et années suivantes. Un extrait de ce livre parut en 1736, sous le titre de Principes élémentaire de l’histoire de la philosophie, in-12 ; Dissertatio epistol. de Vita Hieron. Wolfii, in-4, Augsb., 1739 ; Historia critica philosophiœ a mundi incunabulis, etc., 5 vol. in-4, Leipzig, 1742-44. La 2e édition parut en 1766 et 1767, accompagnée d’un 6e volume, sous le titre d'Appendix acces­siones, observationes, emendationes, illustra­tiones, atque supplementa exhibens ; Institu­tiones historice philosophicœ, in-8, ib., 1774 et 1756 (abrégé du grand ouvrage) ; Miscellanea hist. phil. litt. crit., olim sparsim édita, in-8, Augsb., 1748 ; Lettre sur l’athéisme de Parménide, dans la Biblioth. German., t. XXII ; Disserta­tio de atheismo Stratonis, au tome XIII des Amœnitates litlerariœ de Schellhorn ; Pina­cotheca scriptorum nostra œtate litteris illus­trium, etc., avec des portraits, in-f°, Augsb., 1741-55 ; Monument élevé en l’honneur de l’érudition allemande, ou Vies des savants alle­mands qui ont vccu dans les xvc, xvie et xvne siècles, avec leurs portraits, in-4, Augsb., 1747-49 (ail.). Au commencement de la leçon douzième de Y Introduction à l’histoire de la philosophie, M. Cousin a présenté une appréciation étendue de l’ouvrage de Brucker ; cet article en repro­duit les points principaux.Ch. B.

BRUNO (Giordano) naquit à Noie vers 1548, dans la terre de Labour, province de ce royaume de Naples qui avait déjà produit saint Thomas, et où bientôt allaient naître Campanella et Vanini. On ne sait pourquoi cet ardent esprit se résolut à entrer dans l’ordre des dominicains ; on présume qu’il y excita par la hardiesse de ses opinions la haine de ses confrères, et qu’il eut